81. Le retour des alephs

63 18 34
                                    


« Il faudrait peut-être prévenir le président, alors. »

2120


Basil avala de nouveaux comprimés de caféine.

À l'origine de grands travaux et de grandes découvertes par milliers, soutien indéfectible de l'humain moderne, la boisson miraculeuse, sous sa forme la plus concentrée possible, devait maintenant le sauver de l'implosion.

Depuis une semaine, des responsables de tous les pays défilaient dans les bureaux de la direction du BIS en agitant des bras, au bord de l'apoplexie. Des objets non identifiés venaient de passer à proximité de Titan, sur laquelle une compagnie chinoise cherchait à démontrer la faisabilité de l'exploitation du méthane. Les photos avaient claqué sur les bureaux, indiscutables. Après de longues heures de discussions, la direction du BIS avait fini par trancher dans le sens qui ne plaisait à personne : ce n'étaient pas des astéroïdes ou des comètes de passage, mais bien des milliers, des millions de tonnes de matériel artificiel d'origine inconnue, de technologie extraterrestre.

Ça n'a aucun sens, se dit Basil.

Depuis des milliers d'années, les chasseurs d'ovnis se démenaient avec des apparitions fugaces, des preuves jamais étayées. Certes, dans les cartons du BIS dormaient nombre de révélations de nature à secouer les croyances populaires – comme ce Consortium interplanétaire qui était allé jusqu'à mener une bataille à cent mille kilomètres à peine de la Terre, étouffée par le Bureau sous prétexte d'une vaste éruption solaire. Mais l'arrivée de ces deux mille vaisseaux, chacun d'un kilomètre de long, ne souffrait aucun camouflage. Les chinois n'avaient vu que ça. Le reste du monde suivait dans l'hystérie.

« C'est une mascarade, dit la ministre polonaise des affaires étrangères. Dites-leur de nous envoyer les vraies données.

Basil, les traits tirés, soupira.

— Une confirmation est tombée il y a quelques heures de la part du télescope spatial Krishna. Nous sommes forcés d'y accorder de plus en plus de crédit.

— Ils camouflent des activités spatiales illégales. C'est la seule explication. Sinon, comment ces vaisseaux serait-ils apparus en périphérie du système, sans qu'on les voie venir ?

— Imager directement les abords du système solaire est difficile. Ces appareils sont sciemment passés à côté de Titan. Ils sont en train de faire un autre détour, sans doute pour aborder les installations scientifiques martiennes.

— Comment le BIS peut-il mettre sa réputation en jeu sur ces racontars ?

Basil se leva, fulminant.

— Et que voulez-vous que l'on fasse ? Vous voulez attendre quoi pour vous rendre compte ? Qu'ils vous serrent la main ? Nous devons nous préparer sérieusement. Si vous en êtes encore à quereller sur les images, alors nous perdrons notre longueur d'avance. Ils veulent s'annoncer. Ils n'imaginent pas que nous en sommes à discuter de leur existence. Ils frappent à notre porte avant d'entrer.

— Vous n'allez pas le rendre public.

— Ah, ça, non, mais le faire rentrer dans les grosses têtes qui m'entourent, ce serait déjà un bond de géant pour l'humanité. »

Basil décrocha son téléphone. Le BIS se chargeait d'amortir les chocs, comme toujours. Suggérer par exemple aux astronomes, contre financement de la recherche si nécessaire, qu'une pluie de comètes inattendue allait passer à proximité de Mars. Que sais-je.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant