68. Le projet d'Adam

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« Diel veut que je parte sur Raven. »

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Adam s'absentait souvent, en corps comme en esprit. Pour résoudre des problèmes complexes, il restait sans bouger pendant des jours entiers. Quant à Aléane, elle travaillait tard. Mais ils ne perdaient jamais une occasion de discuter avec Lysen. Ce dernier leur narrait parfois des bribes de son histoire. Une exploitation agricole, à des centaines de kilomètres de là ; une longue errance sur des routes, un bref passage dans une cellule clandestine de soutien aux autonomes, une revente dans une usine, dont il s'était à nouveau échappé.

« J'ai fini par croire que nous étions trop bien liés, dit-il. Qu'il n'y avait aucun moyen de s'échapper de cette prison. Ce n'est pas que les barreaux en sont solides, c'est qu'ils sont inextricables. Comment peut-on déconstruire un système aussi complexe ? »

Aléane travaillait sur un ordinateur en 3D+, manipulant des données invisibles avec des mains expertes. Elle programmait des simulateurs quantiques. Loin d'ici, dans un laboratoire officieux, derrière une série d'entreprise-écrans, un calculateur allait effectuer ces calculs et ces mesures. Les résultats feraient avancer la science ; pour leur bénéfice.

En 1981, un physicien du nom de Feynman avait prédit qu'un calculateur utilisant les propriétés de la mécanique quantique serait le plus adapté pour simuler l'interaction de ces systèmes microscopiques ; en 2103, c'était une technologie standard pour étudier les structures moléculaires, mais iels étaient fort peu sur Terre à en maîtriser les arcanes.

Ayant fini un sous-programme, elle se tourna vers lui, attrapant sa question au vol et retirant ses lunettes de VA.

« Tu as déjà compris, remarqua-t-elle. Il ne faut pas détruire, il faut déconstruire. Il faut modifier. Ce qui a été construit en cinquante ans peut être détruit en une seconde, ou changé en vingt-cinq ans.

Modifier impose tout d'abord de savoir comment fonctionne le monde, dans sa globalité, avant d'insérer ses propres cartes. C'est le projet d'Adam.

— Si Adam veut libérer les okranes, il faudra bien qu'ils aillent quelque part. Avec les humains, nous sommes dix milliards et demi sur Terre.

— Jusqu'où connais-tu les textes de l'histoire de Diel ?

— Quel rapport ?

— Tu le sais. Diel existe réellement, et toute cette histoire est vraie.

Jadis, les cieux n'étaient pas le domaine des avions stratosphériques, des satellites, et des exploiteurs privés d'astéroïdes ou de matières minérales sur la Lune. Le Ciel était la chasse gardée des dieux, des démons, des esprits, des légendes, de tout ce qui faisait la pluie et le beau temps, les orages, les chutes de météorites.

Il existe d'autres mondes, Lysen ; et Diel nous a promis le sien. »

Une plage sur laquelle se couche un Soleil rouge, en même temps qu'une planète immense passe et fait se retirer l'eau sur une étendue de sable gris-bleu.

Aléane retourna à son travail. Elle semblait s'escrimer contre quelque démon invisible, évoluant dans l'environnement virtuel d'un système complexe, une interface que le cerveau humain aurait du mal à appréhender et qu'elle manipulait avec virtuosité.

Secret, le projet d'Adam impliquait pourtant de percer les frontières de la science. L'androïde, après cinquante ans de recherches, accomplissait enfin ce pour quoi il avait été sans doute construite : dépasser l'humanité. Et il associait les okranes à ce succès.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant