69. Raven

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« Cette planète nous a toujours été étrangère, nous n'aurons bientôt plus rien à voir avec elle. »

2105


Après trois mois d'explications, au début à demi-mot, puis franches, Lysen avait compris les grandes lignes du plan.

Adam projetait d'envoyer des okranes sur une autre planète ; soit. Elles n'étaient pas toutes très proches, mais ne manquaient pas dans la galaxie ; si Diel avait voyagé jusque sur Terre, même en esprit, peut-être pouvaient-ils faire le chemin inverse.

Mais il n'imaginait pas les okranes prendre le contrôle de l'espace, sans avoir celui du monde. Car l'espace était le domaine des humains : satellites de communications et d'observation météorologique, stations, exploitations minières privées sur la Lune. L'humain avait posé le pied sur Mars ; l'okrane n'avait jamais quitté le sol terrestre.

« Explique-moi.

Aléane semblait l'avoir longuement étudié pour savoir si elle pouvait lui faire confiance ou non. Elle réfléchit un bref instant avant de lui tendre ses lunettes de VA.

— Regarde. »

Détectant la présence de ses yeux, les verres s'illuminèrent. L'outil permettait de visualiser des systèmes informatiques, des programmes, des réseaux.

Une carte holographique se déployait tout autour de lui, lui donnant le tournis, avant qu'il ne s'y habitue. Le système se mouvait comme une colonie de fourmis, organisation complexe mais rationnelle, animée d'objectifs simples, optimisée en fonction.

Aléane portait les gants associés à la vue. Elle fit un mouvement des mains, comme pour s'adresser à un public ; en retour le réseau se recroquevilla, devenu une sphère entourée de quelques points en altitude.

« Nous sommes les fantômes invisibles du monde de 2103. Le réseau d'idées que tu as vu germer dans l'esprit des okranes se poursuit ici, dans l'Internet. Voilà la partie émergée – des communications à grande échelle entre les membres du réseau Aleph.

Aucun okrane n'est jamais allé sur Raven. Le développement d'une telle activité nous aurait exposés au BIS. En 2075, une entreprise du nom de Husman Satellites a envoyé une série de quinze satellites de communications en orbite – au total, dix-sept tonnes de matériel. Elle a ensuite fait faillite et ses satellites n'ont jamais été connectés au réseau. Ils ont été définitivement perdus de vue à la suite de perturbations solaires ; on suppose qu'ils ont été détruits et que leurs débris sont rentrés dans l'atmosphère. Le BIS soupçonne quant à lui que Husman Satellites était une antenne des services secrets chinois, qui en ont profité pour placer en orbite des armes hypercinétiques et des lasers de précision. »

Le réseau Aleph respirait comme un être vivant, les communications à longue portée s'y écoulaient comme un fluide vital. Les milliers de nœuds se déplaçaient avec lenteur le long de leurs axes routiers.

Adam avait envoyé des machines dans l'espace ; discrètes, silencieuses, intelligentes, car inspirées de sa propre intelligence. Longtemps après Nazar Kirdan, qui lui avait donné vie, Adam avait conçu une conscience artificielle adaptée à des supports informatiques restreints et robustes. Les alephs, aussitôt nés, avaient pris leur envol dans l'espace comme une nuée de colombes.

Portés par de petits moteurs à ions, ils avaient dérivé jusqu'à la ceinture d'astéroïdes. Là, dans le plus grand silence, leurs machines avaient foré la roche et la glace ; leurs minuscules usines avaient synthétisé de nouveau métaux et de nouvelles céramiques ; ils avaient construit une flotte spatiale toute entière.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant