6. Premier-né

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« Ce changement sera soit immédiat, soit lent. S'il est immédiat, il impliquera la disparition du monde tel que nous le connaissons ; s'il est lent, les impacts sur la biosphère terrestre seront irrémédiables. »

2045


Comme dans un tableau surréaliste, un corps humain en dissection et une voiture sans carrosserie s'étaient mêlés. L'humanoïde était une structure de plastique grisâtre, un squelette en tout point semblable à celui d'un être humain, quoique renforcé, sur lequel se greffaient des muscles électrocontrôlés reliés à des tendons, des bordées de câbles électriques, un réseau de circulation de fluide électrolytique et des compartiments dans lesquels les morceaux les plus fragiles baignaient dans des gels isolants.

Nazar était seul dans le laboratoire. Sa perception semblait lui jouer des tours. Par instants, il avait l'impression de se tromper, et de déconstruire un véritable être humain, plutôt que de monter un corps artificiel.

Était-il un créateur ou un destructeur ?

Il se dirigea vers la table sur laquelle les morceaux de peau tactile étaient été étalés. La proximité du silicone flasque avec l'épiderme humain, à l'apparence et au toucher, le rendait répugnant. Nazar se saisit d'un visage sans yeux. Les globes étaient, eux, déjà assemblés sur la tête. On y voyait les caméras intégrées – le but n'était pas de les cacher – dessiner comme un iris noir.

Enfilée sur la tête de l'androïde comme un camouflage, la peau révéla toute sa beauté. Les faux grains de beauté étaient uniques, incrustés à la main par des ouvriers indonésiens.

Tout ce chemin depuis l'époque où il vendait son sang, avec Talya, pour payer ses études.

Il se souvenait à peine du visage de l'étudiante russe avec qui il avait passé deux années sur le campus. Lorsque son imagination échappait à son contrôle, elle revenait le visiter en rêve, changeant sans cesse de forme ; ici il la voyait dans le corps sans vie allongé sur la table.

En vérité, il était en 2040, elle venait à peine de succomber au dernier baiser du vampire, et il ouvrait son corps pour en détacher les précieux organes, découper les lambeaux de peau, comme on dépèce un animal de valeur. Ses mains se mirent à trembler, plus fort encore que celles du professeur Mrozowski. Il venait de tuer Talya. Mais au lieu de s'ouvrir et de l'embraser d'un regard de reproches, les yeux de la morte restèrent clos. Il attendit que le calme lui revienne.

À l'emplacement d'une fine croix rouge sur le front, il planta la longue aiguille d'un pistolet à thermocolle Après vingt injections, il essuya quelques gouttes de sueur sur son front. Le visage était sans défaut. Et ce n'était pas Talya.

Ce n'était pas Talya Matyev. Ce nom ne signifiait rien d'autre que pour lui. Peut-être même l'avait-il inventé.

***

Nazar Kirdan aida Von Glats à retirer son manteau en entrant dans le laboratoire.

Le professeur avait accepté l'invitation de bonne grâce, mais il connaissait à peine le docteur Kirdan. C'était réciproque, sans doute. Ils ne s'étaient jamais rencontrés. Von Glats donnait des cours et des conférences sur le thème de la conscience artificielle, abordé d'un point de vue sociologique et éthique. Nazar Kirdan était un informaticien et neuroticien reconnu, mais discret.

« Avez-vous connu le professeur Mrozowski ? demanda-t-il brusquement.

Manifestement, un disciple de l'homme qui parlait aux orques. Von Glats reconnaissait en lui quelques traits caractéristiques ; bien qu'il manque l'arrogance dont certains se paraient volontiers.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant