L'Ouragan d'Étoiles

Tristan

Une voilée d'oiseaux traverse le ciel gris, tandis que quelques gouttes de pluie s'écrasent contre la grande fenêtre de la classe, sous le regard absent du garçon. Il aimerait rejoindre ces petits êtres vivants pourvus d'ailes et parcourir le monde avec eux. Il aimerait aller partout, n'importe où tant que c'est loin d'ici.

Son besoin de fuir s'amplifie chaque jour un peu plus.

Et putain, il a envie de fumer.

-Tristan, concentre-toi.

Il sursaute à la voix de sa professeure de Littérature, qui soupire profondément. Les autres élèves ne disent rien, sans doute n'osent-ils pas. Ici, il est considéré comme... le mec mystérieux et intrigant. Les élèves de ce lycée s'ennuient, alors il leur fallait bien une distraction ; lui, en l'occurrence. Il sait que les autres parlent souvent de lui, que plusieurs rumeurs circulent à son sujet ; pas méchantes, mais toutes plus tordues les unes que les autres. Il a entendu des filles se demander s'il n'avait pas été abusé quand il était enfant, ou s'il se faisait frapper. Certains suggèrent aussi qu'il a tué sa petite amie, ou qu'il la séquestre dans sa cave. Celle-ci le fait beaucoup rire, parce que... eh bien, quelle petite amie ? Il n'a jamais eu de relation de sa vie car ça ne l'intéresse pas, et il vit avec ses parents, en plus de trois frères et demi (en comptant Thomas) qui passent très souvent ; ce serait compliqué de cacher une personne dans sa cave. Les gens de son lycée s'arrangent toujours pour ne pas lui parler, ils ont certainement peur de l'énerver et de se faire tuer. Il n'en serait pas capable, bien sûr, mais ne cherche pas non plus à démentir la réputation qu'ils lui ont forgé, parce qu'au moins ils le laissent tranquille ; et c'est tout ce qu'il veut, lui.

Être tranquille.

Juste

Enfin

Tranquille.

La sonnerie retentit alors, le tirant de ses pensées. Sonnerie annonçant la fin du cours et par conséquent de la journée. Il va devoir prendre le bus et côtoyer des gens pendant encore une demi-heure avant de pouvoir être seul. Cette seule idée suffit à le faire longuement soupirer. Il franchit les grilles de l'école, tentant d'ignorer les autres élèves râlant et courant dans le futile espoir d'échapper à la pluie ; il a du mal à comprendre, lui aime bien la pluie. Ça l'apaise. Le bus n'est plus qu'à vingt-trois mètres de lui, il pourrait déjà presque entendre les cris et les rires des lycéens qui ne savent pas se tenir tranquille dans un véhicule.

Pour se changer les idées, il sort son téléphone portable tout en réprimant un énième soupir. Il est las de tout.

Sauf qu'un message retient son attention ; son seul message, d'ailleurs.

« Je suis au parking »

Quatre mots, une simple et courte phrase. C'est ce qu'il aime, chez Ethan.

Il lève les yeux, fixe le parking pour tenter d'y trouver la voiture du garçon ; deuxième rangée à gauche, troisième place en partant de l'allée principale. À côté de lui, une femme sautille sur place en agitant les bras et s'égosille avec des « Je suis là, je suis là ! » « Chéri, par ici ! » destinés à un pauvre adolescent sûrement mort de honte. Ethan, lui, fume tranquillement, appuyé sur le capot. À coup sûr, il se retient de lâcher quelque remarque acerbe à la mère de famille qui doit l'agacer au plus haut point.

Tristan se dirige vers lui, le saluant d'un regard, et s'installe sans un mot dans la voiture légèrement rayée sur la portière arrière –Luke en est le fautif- puis Ethan se dépêche de finir sa cigarette avant de le rejoindre et enclencher le moteur, tout aussi muet.

Au bout de quatorze minutes bercées par un album de Queen, Tristan se décide enfin à ouvrir la bouche.

-Pourquoi tu es venu me chercher ?