Chapitre 8

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Elle a pâli devant son ton agressif que son 's'il te plaît' n'a pas réussi à atténuer. Ils mangent en silence, à présent. Lui, il se traite intérieurement de tous les noms... avant de décider de jouer le tout pour le tout...

- je n'ai pas revu ma mère depuis mes 17 ans, articule t il péniblement, depuis que mon père qui la battait quotidiennement m'a foutu dehors de chez moi... il buvait comme un trou et était violent Le pire, tu sais, c'est qu'elle n'a rien fait... rien du tout... elle m'a regardé partir avec mon petit sac... elle n'a rien fait... alors, je t'en prie, ne prends pas mal, mon beug... je suis juste un connard... un connard qui se trouve devant une personne trop bien pour lui et qui vient d'en prendre conscience... pardonne moi...

Elle met un moment à prendre la parole.

- tu vis dehors depuis que tu as 17 ans?

- non, un type m'a hébergé... Hervé qui est mon coloc depuis... grâce à lui, je n'ai jamais dormi dehors. Je n'ai pas non plus été obligé de faire le trottoir comme le proposait une ordure du quartier qui utilise des jeunes mecs paumés pour satisfaire ses riches clients...

- oh...

- je lui dois tellement à Hervé...

- je comprends...

- maintenant, c'est moi qui prends soin de lui... enfin comme je peux... il est devenu épileptique... il n'a plus de boulot et fais des conneries quand il est en crise...

- hier...

- oui, il n'avait pas pris son traitement, il devait aller filer le fric pour notre loyer au proprio et bien sur, il a fait le con devant les dealers en bas de l'immeuble... ils l'ont tabassé et lui ont pris le fric...

- et tu es allé le récupérer...

- on était en retard de paiement, et foutus dehors la semaine prochaine... pas moyen de sortir deux loyers le même mois, tu comprends... avec ce que coûte l'école d'ingé... Hervé ne tiendra pas deux jours si on se retrouve à la rue ou même dans un foyer...

- il est suivi par qui?

- au dispensaire...

- du coup, tu as pu payer... et lui, il reprend son traitement...

- oui mais ça a pas servi à grand chose, notre proprio, il veut maintenant un loyer d'avance... pour être sur...

- ...

- mais te prends pas la tête, on va se démerder... comme toujours...

- ton ami, il fait souvent des crises?

- ben quand on était jeunes jamais et depuis peu, c'est plus fréquent... au dispensaire, ils lui filent des cachets mais on dirait que ça fait moins effet...

- cette maladie est évolutive... tu voudrais pas l'amener à l'hôpital un mardi après midi?

- pourquoi?

- vous n'êtes pas sans papier?

- non...

- donc vous avez la sécurité sociale...

- oui...

- j'ai un ami en neurologie... il faudrait qu'il fasse passer un scanner, fasse des prises de sang... et tout le protocole à ton ami.

- il va taper une crise...

- on sait gérer... on le gardera une nuit... et on pourra lui donner un traitement vraiment adapté... et pris en charge à 100%...

- tu ferais ça?

- oui... parce que ton coloc... tu sais, il peut ne jamais se réveiller d'une crise... ou faire un coma...

- oh merde... heu...mardi prochain... j'ai juste un TP... je pourrai le rattraper...

- tu n'as pas besoin de rester tout l'après midi, juste tu le déposes... vers 13H... et il ressortira le lendemain sur l'heure du repas aussi... sûrement décalqué...

- j'ai mon cours à 14h... c'est parfait... mais si il casse tout...

- il sera bien encadré... t'en fais pas, papa poule...

- un papa de 23 ans avec un gosse de 32... et pas de maman...

- la science n'a pas fini de nous surprendre. Tu veux un dessert?

- heu, je veux surtout pas abuser de ton hospitalité...

- alors mange un activia à la cerise, on a horreur de ce parfum et je ne veux pas jeter de bouffe...

- vous n'aimez pas la cerise?

- si, mais pas l'arôme artificiel de cerise, c'est une insulte à la délicieusité des vraies cerises!!

Il engloutit son yaourt sans broncher.

- ta main te fait mal? ça devrait être réveillé...

- ça lance un peu mais ça va... et je sens que c'est chaud...

Elle pose doucement sa main sur le bandage.

- c'est l'antibio qui se bagarre contre l'infection... voilà des cachets contre la douleur, max 4 par jour et en mangeant... rappelle toi...

- merci, merci infiniment Mia...

- de t'avoir recousu?

- de m'avoir soigné, de m'avoir gardé à manger et de ne pas me juger...

Il reçoit son sourire radieux en plein cœur.

Ils retrouvent la Corsa et elle suit ses instructions pour arriver dans la cité où il vit. Il lui désigne sa cage d'escalier mais se plaque contre le siège en lui demandant de ne pas s'arrêter. Des types avec des têtes de bandits bloquent l'entrée, il lui fait faire le tour et se garer sous un gros arbre.

- comment...

- t'inquiètes...

- bon, à demain?

- oui... merci Mia, merci beaucoup...

Le malaise de la jeune femme emplit l'habitacle. Le jeune homme lui prend doucement la main. Il plante son regard dans le sien et pose un petit baiser tout léger dans sa paume.

- bonne nuit Mia, bonne nuit, rentre bien et vraiment merci...

Il repose sa main sur son genou et sort de la voiture. Assourdie par les battements de son cœur, elle le regarde escalader le platane avec l'agilité d'un singe en prenant soin de ne pas forcer sur sa main bandée. Un mouvement dans son rétroviseur la décide à redémarrer sans attendre les ennuis... là haut, au 4eme, Axel se hisse  souplement sur un balcon.

Son portable sonne. C'était Anahéra inquiète. Elle saute en l'air au bout du fil quand Mia annonce avoir ramené Axel chez lui. Les deux filles papotent tout le trajet du retour grâce au kit main libre, la 'vie de merde' du jeune homme émotionne beaucoup les deux cousines.


Il faut y croire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant