Cage vide

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Parfois, Severus se disait que c'était un rêve stupide. Ou un cauchemar, suivant le point de vue.
Puis, il se souvenait que c'était la réalité.


Lui, Severus Rogue, avait remué ciel et terre pour localiser le fils de James Potter et le sauver. Mais c'était aussi le fils de Lily. Il s'était attaché au garçon et à son étrange jumeau, ce second garçon sorti du néant.


Lui Severus Rogue, terreur des élèves de Poudlard, unanimement détesté et habituellement considéré comme le pire professeur ayant jamais enseigné entre les vénérables pierres écossaises, passait volontairement du temps avec trois enfants. Son filleul Drago et les deux enfants Potter.


Lui, Severus Rogue, anciennement pire ennemi des Maraudeurs, avait participé à la libération de Sirius Black. Il avait aidé à le soigner, avait fait en sorte de le ramener parmi les vivants lorsqu'il s'était laissé couler dans une profonde dépression.


Et il avait fait tout ça à cause d'une promesse faite à une morte. En tous cas, c'est ce qu'il se répétait encore et encore lorsqu'il se rendait compte qu'il changeait.


Les jours passaient lentement, et Severus faisait en sorte de venir aussi souvent que possible au Manoir Malefoy. Lorsque Dumbledore s'agaçait de ses absences trop répétées, l'homme mentait sans vergogne en prétendant qu'il s'occupait de consolider sa position d'espion.
Puisque c'était ce que le vieux fou exigeait de lui, ce dernier n'avait pas d'autre choix que de le laisser faire à sa guise.


Pourtant, depuis le jour où Albus Dumbledore avait emmené en cachette les jumeaux Potter chez les moldus après avoir lancé un sort d'oubliettes à Minerva McGonagall, Severus n'était plus vraiment espion. En tous cas, il ne lui viendrait jamais à l'idée de révéler les secrets de la famille Malefoy...

L'aide de son vieil ami Lucius lui avait été précieuse, et il avait été heureux de découvrir que l'aristocrate était prêt à changer de camp. Lucius ne soutiendrait jamais Dumbledore, mais il pouvait s'opposer à Voldemort si leur ancien Maître revenait soudainement à la vie...


Lorsqu'il était au Manoir, il passait son temps en compagnie de Charles et de Harry. Et plus curieusement, Sirius Black n'était jamais loin.
Ils n'étaient pas vraiment amis. Ils avaient un passé trop lourd pour qu'ils puissent faire table rase du passé et nouer une véritable relation amicale. Ils s'en tenaient à une sorte de neutralité prudente. Ils pouvaient discuter sans s'insulter, ils arrivaient à se supporter plutôt facilement pour leur plus grande surprise.


Ils étaient surtout liés par les enfants. Sirius avait vite compris qu'aussi bien Harry que Charles appréciaient Severus Rogue. S'il voulait se rapprocher de son filleul, il allait devoir composer avec son ancien souffre-douleur.
Quelques fois, Sirius avait laissé échapper des moqueries ou cet affreux surnom que Severus détestait. Le regard méprisant des deux enfants l'avait vite convaincu qu'il allait devoir éviter ce genre de comportement s'il voulait pouvoir les approcher.


Sirius s'était surpris à plus ou moins apprécier le maître des potions, admirant la façon dont il parlait aux enfants, comme s'il savait toujours trouver le mot juste pour les apaiser.
Un jour, Sirius en avait fait la réflexion à Narcissa et Lucius. Il ne comprenait pas comment un professeur aussi désastreux puisse avoir un tel don pour toucher les deux Potter.
Lucius avait reniflé d'un air méprisant et avait quitté la pièce sans répondre. Narcissa avait soupiré et levé les yeux au ciel. Elle avait répondu à son cousin mais son ton était dur, l'avertissant de ne pas se servir de ses paroles contre l'ami de la famille.
- Sirius. Il ne t'est pas venu à l'idée que ce n'est pas avec les enfants que Severus est doué, mais avec ceux qui ont traversé le même enfer que lui pendant son enfance ?
Elle était ensuite partie, le laissant honteux.


C'était probablement après cette conversation que Sirius avait cessé de se préoccuper de la présence de Severus pour se concentrer sur les enfants. Il acceptait tout simplement la place du Maître des potions, lui reconnaissant le droit de s'impliquer dans la vie des petits Potter.
Ils se complétaient étrangement : Severus apprenait le monde de la magie à Harry et Charles, alors que Sirius leur apprenait à jouer comme les enfants qu'ils étaient.


Un week-end, les deux hommes étaient côte à côte dans le parc du Manoir à observer Harry, Charles et Drago voler avec aisance au dessus d'eux. Sirius s'était laissé tomber au sol et souriait largement, alors que Severus était resté debout, engoncé dans ses robes de potionniste, sévère et silencieux.


Cependant, l'homme en noir n'était pas si indifférent qu'il voulait le faire croire. Il ne pouvait pas toujours cacher ses émotions - admiration face au talent des enfants, frayeur lorsqu'ils prenaient des risques, joie de les entendre rire.


Sirius attira soudain son attention, d'un ton inhabituellement sérieux venant de lui.
- Severus ?
Les sourcils froncés, l'homme le fixa, attendant patiemment que l'animagus ne dévoile ce qu'il avait à dire.
- Que se passera-t-il le jour où Dumbledore se rendra compte que les enfants ne sont plus chez les moldus ? Qu'il n'y a plus qu'une cage vide ?


Le Maître des potions soupira et fixa un instant la silhouette de Harry qui virevoltait en riant aux éclats. Puis il serra les poings.
- Il pourra dire ce qu'il veut, Black. Lucius a fait le nécessaire pour qu'il ne puisse rien faire.
- Comment ça ?
- Pourquoi crois-tu que tu aies été libéré ? Par souci de justice ?
Sirius grimaça et Severus soupira.
- Sans les gosses, nous n'aurions jamais su que tu n'avais pas eu de procès et que tu étais innocent. Tu es le parrain de Harry, et donc son tuteur légal. Dumbledore ne pourra pas aller contre tes décisions.
- Et pour Charles ?
- Dumbledore l'a nommé Charles Potter et l'a reconnu jumeau de Harry. Je suppose qu'il ne pensait pas à l'époque que ça permettrait de les protéger tous les deux : puisqu'il est le frère de Harry, tu es également sa famille la plus proche en l'absence de parrain connu.


L'animagus arracha quelques brins d'herbes d'un air songeur avant de secouer la tête.
- Beaucoup me considèrent encore comme coupable. Ma parole aurait bien peu de poids.
Severus eut un sourire rusé.
- Lucius a fait appel à ses... alliés au Magenmagot. Ils feront bloc derrière nous, sans aucune hésitation.


Sirius marmonna, visiblement choqué de découvrir que d'anciens Mangemorts protégeaient les enfants, puis il soupira et se détendit. Après tout, les Serpentard étaient connus pour leur ruse, alors il pouvait bien leur faire confiance pour savoir se débrouiller face au Ministère et à Dumbledore...

Prompt de demain : Esprit en miettes

Tu es mon doubleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant