Chapitre 53

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Encore une nouvelle journée dans cet enfer, un enfer sans fin. Un enfer qui ne change pour ainsi dire jamais. Hormis pour empirer. Comme cette fois où Raven a reçu une poutre lui écrasant la jambe. Un bon moment s'est écoulé et pourtant elle n'arrive toujours pas s'en remettre un minimum. Je sais qu'elle ne veut pas m'inquiéter, mais il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer ses grimaces de douleurs qu'elle tente tant bien que mal de cacher.

Je ne pourrais pas la voir avant le repas de midi, j'ai été retenue trop longtemps avec mon dernier client. J'ai pris l'habitude de les nommer ainsi pour essayer de dédramatiser les choses, ou au moins pour les rendre plus supportables. J'offre un service comme un autre. Je ne suis juste ni payée, ni consentante.

Aujourd'hui, les couloirs sont remplis de vie. Je déteste ça. Je déteste ça, car je sais exactement ce qui vient de se passer. Au début, j'avais pitié pour eux. Maintenant, je ne suis plus qu'une âme sans émotions passant d'un endroit à un autre. Je ne parle presque plus, des phrases simples et courtes lorsqu'on m'adresse la parole. Je garde mon énergie pour ce qui est réellement essentiel. Et en ce moment, soutenir ma seule amie en ces lieux est le plus important.

Je rentre dans ma chambre, enfin, notre chambre, à moi et à plus de vingt autres personnes. Il n'y a qu'un seul nouveau pour cette fois. Combien de temps va-t-il tenir ? Je m'en moque en réalité. Pour être honnête, je ne sais pas moi-même pourquoi je continue à tenir. Sans doute pour ne pas laisser Raven derrière. Si elle n'était pas là, il y a fort à parier que je ne serais déjà plus de ce monde.

C'est un garçon. Mon âge certainement, cheveux bruns lui arrivant un peu au-dessus des épaules. Rien de plus intéressant.

- Oh salut, il dit en m'apercevant. Dit, il s'est passé quelque chose dernièrement ? Tout le monde a l'air bizarre. Au fait, je m'appelle Finn. On va être colocataire si j'ai bien compris.

Il m'épuise déjà.

- Bienvenue en enfer, je me contente de marmonner en rejoignant ma couchette.

****

- C'est incroyable, tout est différent de l'initiation ici. Enfin c'est normal vu qu'on est beaucoup plus.

Je vais l'étriper. Mais vraiment l'étriper. Vivement que je m'en débarrasse.

De loin j'aperçois Raven, laquelle me fait signe en m'apercevant à son tour. Je récupère rapidement mon repas sans plus me soucier de l'autre idiot qui me suit comme mon ombre. Heureusement pour moi, j'arrive à le semer dans la foule et me faufile jusqu'à la table de ma meilleure amie. Je laisse tomber mon bol lourdement avant de m'avachir sur le banc.

- La nuit n'a pas été, elle s'inquiète immédiatement.

- J'ai connu pire. Un nouveau a décidé de me coller aux basques. Tu sais, le genre trop optimiste. Et toi ta journée ?

Nous commençons à échanger quelques banalités lorsqu'une voix que je connais déjà beaucoup trop à mon gout retentit.

- Super je t'ai... retrouvée.

Pitié dites-moi que c'est une blague. J'allais le remballer sèchement lorsque je remarque la tête entre la surprise et la colère de la brune.

- Finn ?

- Raven !

- Vous vous connaissez ?

Les deux se dévisagent sans vraiment me prêter grande attention.

- Je... On était voisins.

Une petite minute, ce gars c'est quand même pas le Finn auquel je pense ? Ce type dont Raven est tombée amoureuse plus petite mais qui a déménagé par la suite ?

****

Trois mois se sont écoulés depuis l'arrivée de Finn. Il a fini par se calmer même s'il reste optimiste contrairement à nous qui avons abandonné tout espoir depuis bien longtemps. Mais je pense que ça ne me dérange pas tant que ça. Au moins l'un de nous trois essaye de garder le sourire.

Il a été assigné à la section agriculture. Et étrangement, ça n'a pas l'air de trop le déranger. Je crois qu'il aime travailler la terre. Je suppose que ça lui donne une petite impression d'extérieur. J'aimerai tellement pouvoir ne serait-ce que sentir l'odeur de la terre, moi qui ne suis plus sortie d'entre ces murs depuis des années.

Contrairement à ce que je pensais au premier abord, il s'est avéré assez sympathique. La fait que nous mangeons tous les midis ensemble avec Raven y est certainement pour quelque chose. Etant donné que les deux se connaissaient auparavant, c'était presque évident que nous allions passer du temps ensemble.

Le matin vient de se lever et moi je rentre pour espérer me reposer quelques heures. En entrant dans la chambre, je tombe sur Finn.

- Salut Clarke. Dure nuit ?

Je lève les yeux au ciel. Malgré que je lui aie dit un nombre incalculable de fois de ne pas utiliser mon prénom en public, il n'en démord pas.

- J'en ai au moins eu fini rapidement.

Un point positif, un. C'est toujours ça de pris. Au début, il s'énervait quand je racontais des choses pareilles presque sur un ton léger. Je suppose qu'il a fini par comprendre que c'était un mécanisme d'auto-défense.

- Oh, faut absolument que je te montre un truc.

- Quoi mais...

Je n'ai même pas le temps de protester qu'il m'entraine à sa suite. Nous traversons je ne sais combien de couloirs avant d'accéder à une porte à laquelle je n'aurais jamais fait attention s'il ne s'était pas arrêté devant.

- Après vous mademoiselle.

Légèrement anxieuse, j'entre. La pièce est très sombre, une seule petite fenêtre l'éclaire. Partout, des étagères remplies sont présentes.

- C'est... un débarras ?

Je crois que le clan commence sérieusement à lui monter à la tête.

- Mais pas que, viens voir par ici.

Le brun se faufile entre les rayons et j'essaye de le suivre comme je peux. Il se poste juste en face d'une en particulier et attrape une vieille boite de conserve avant de me la tendre.

- Je suis sûr qu'en cherchant un peu, je devrais te trouver du papier.

Je reste sans voix face au pot de crayons de couleur qu'il m'a donné. Nous avions vaguement parlé de ma passion pour le dessin avant d'atterrir ici mais sans plus. Qu'il s'en souvienne me touche bien plus que je ne veux le croire.

- Merci, je chuchote.

*****

- J'y crois pas, genre vous deux ensemble !?

Je rougis instantanément.

- Evite de trop en parler, je marmonne. On voudrait que ça ne se repende pas trop.

- Mais c'est génial. Je suis trop contente pour vous deux.

Je souris au brun, lequel me tient discrètement la main sous la table depuis le début de cette conversation.

Je me voyais mal être avec Finn sans le partager à ma meilleure amie, celle qui me soutient depuis plusieurs années.

- Quand je pense que je n'ai rien vu venir. Comment vous avez fait pour que je ne remarque rien ? Et depuis quand vous êtes proches d'abord ?

- Secret, répond le garçon.

- Quoi ?! Mais c'est pas juste.

Même si je l'adore, j'ai envie de garder notre débarras pour nous. C'est entre ces murs que notre relation a évolué jusqu'à dépasser le simple stade de l'amitié.

Aussi étrange que cela puisse paraitre, je suis relativement assez heureuse. Certes, je continue à servir d'objet et nous formons un couple sortant de l'ordinaire, mais je me suis construit cette petite famille ici. Et je l'aime.

Notre vie va continuer à être compliquée, mais je sais que nous serons toujours là les uns pour les autres, peu importe les circonstances. Unis dans cet enfer, nous pouvons le rendre plus supportable.

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