Chapitre 2

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- Numéro 319, debout.

Je suis brutalement tirée de mon demi-sommeil par une voix dure. L'un des surveillants vient de rentrer dans la pièce sans aucune délicatesse, arrachant quelques pleurs Madi.

Je me relève rapidement tout en gardant ma fille dans mes bras. J'essaye de la calmer comme je peux. Les enfants ressentent notre panique, voilà ce que m'avait affirmé Nyko. Etre calme soi-même aide à calmer. Mais ce n'est pas toujours facile, surtout dans ce genre de situation.

Il n'existe que deux raisons pour lesquelles on vient me chercher. Soit j'ai fait quelque chose de contraire aux règles soit...

- Tu as un client dans dix minutes. Aucune demande particulière. Chambre 5. N'oublie pas de te changer.

Voilà, c'est exactement ce que je craignais. Je déteste devoir laisser mon bébé ici sans personne de confiance à qui le confier. Hors de question qu'elle vienne avec moi et je refuse de la laisser aller à l'atelier avec Raven vu les accidents répétés qui s'y produisent.

C'est horrible à dire mais l'endroit où elle est le plus en sécurité est sans doute dans mon lit, même si elle est sans aucune surveillance.

- Je reviens vite ma chérie, je murmure tout en la bordant.

Elle gigote un peu mais se laisse faire. Ce n'est malheureusement pas la première fois que je suis obligée de la laisser ainsi.

Le garde est déjà parti, sans doute chercher sa prochaine victime. Ils ne prennent pas la peine de nous escorter jusqu'à notre lieu de rendez-vous. Ils ne le font jamais. Nous savons tous très bien ce qui nous attend si nous avions l'audace de désobéir. Et le temps imparti entre le moment où l'annonce est faite et le lieu où l'on doit se rendre est minutieusement calculé. Pas de temps pour l'hésitation. Tout est fait pour nous rendre dociles et serviables à souhait.

Je me dépêche donc de rejoindre mon bâtiment ainsi que la pièce qui m'a été assignée. Une tenue de circonstance m'attend, en évidence sur le lit.

L'apparence avant tout. Car on ne va pas se mentir, rare sont les fois où on la garde très longtemps.

Cette fois, c'est une jeune fille de mon âge qui entre. Ses longs cheveux bruns cachant par intermittence son regard vert chargé d'envies.

Je me laisse faire, telle une poupée. De toute façon, cela fait des années que je ne cherche plus à me rebeller, peu importe ce qui m'arrive, peu importe le sexe de la personne en face, peu importe ce qui est utilisé. Je ne suis plus qu'un pantin sans émotions.

Mes mains sont attachées et mes yeux bandés. Je déteste ça. Je déteste ne pas savoir, ça ne rend l'affaire que plus angoissante. Car oui, même si je fais tout pour ne pas le montrer, même si cela fait des années que je vis ainsi, je n'arrive pas à m'y faire.

Ces mains qui parcourent mon corps, ses lèvres qui se baladent où elles veulent... tout cela me rend malade.

Je me rappelle encore de la première fois où je suis arrivée dans une chambre semblable, je ne savais absolument pas ce qui m'arrivait.

J'étais installée depuis très peu de temps avec d'autres filles quand un homme m'avait trainé avec force jusque-là. Cette douce illusion venait de s'écrouler de la plus brutale des manières.

Quand j'étais rentrée, je m'étais tout simplement effondrée en larmes. Je sentais encore l'odeur de ce porc sur moi et tout mon corps me faisait souffrir. J'ai compris à cet instant que je venais de faire la plus grosse erreur de ma vie. Mais aussi certainement la dernière.

Aujourd'hui, les choses n'ont pas changé. J'ai toujours autant envie de me laver à l'eau de javel et de perdre définitivement l'odorat. Mais je ne m'écroule plus, peu importe la douleur ou la fatigue. J'ai appris à masquer un minimum mes émotions. Juste assez pour ne pas inquiéter Madi. Pour les autres résidents, je n'en ai pas vraiment besoin : nous sommes tous dans un état fort similaire. Et de toute façon, personne ne s'occupe de son voisin.

Je laisse la fille faire son affaire. Je suis de toute façon totalement impuissante face à elle. Face à eux en général.

- T'étais plutôt un bon coup, elle dit en se rhabillant. C'est quoi ton numéro ?

- 319.

- On se reverra 319.

Je reste encore quelques temps, allongée, après son départ. Mon corps tremble de toutes parts, je suis incapable de me relever. Je tremble de peur, de dégout, de fatigue. A la longue, tout se mélange pour ne former plus qu'un.

Pour eux, je ne suis qu'un numéro, un corps avec lequel on peut s'amuser. Mes sentiments, mes émotions... ils s'en moquent complètement. Le pire, c'est que j'ai trouvé une certaine normalité dans cette situation.

Je laisse quelques larmes s'égarer sur mes joues. Si personne n'est encore venu me chercher, c'est que je n'en ai pas fini. Pas tout de suite du moins.

Il me faut encore quelques heures avant de pouvoir rentrer me reposer. C'est à peine si je peux marcher. Je ne vais plus tenir très longtemps à ce rythme. Rythme que je ne peux bien sûr pas ralentir. Ce serait bien trop beau sinon.

Sur le chemin du réfectoire, je croise Raven. Normalement j'aurais voulu me précipiter dans la chambre prendre ma fille dans mes bras, mais le repas du midi est inévitable. C'est à ce moment que les comptes sont fait. Bien sûr, ils leur arrivent de débarquer à l'improviste dans une section ou un bâtiment mais c'est à douze heures que nous sommes tous réunis. Ils ne veulent pas que l'un d'entre nous puisse s'échapper et répéter ce qu'il a vu ici.

Pourtant, je suis sûr qu'il suffirait de peu. Rien qu'un simple indice pour mettre la puce à l'oreille de ceux de l'extérieur. Un clan aussi renfermé que celui-ci doit bien attirer l'attention de certains. Combien de reportages ai-je vu avant de l'intégrer ? Tous se demandent ce qui se déroulent entre ses murs qu'une petite étincelle serait suffisante pour mettre le feu aux poudres.

Mais voilà, personne ne peut s'échapper, seul ceux dirigeant l'affaire se montrent à la lumière du jour et chacun d'entre nous à envoyer cette stupide lettre à nos proches.

Dans la théorie, nous sommes tous consentants. En pratique, aucun ne l'est.

Lorsque je croise Raven, celle-ci s'inquiète aussitôt de mon état.

- Clarke, qu'est-ce qui t'es arrivé, elle demande.

- Je suis tombée dans les escaliers.

Je n'aime pas parler de manière claire de ce qui s'est passé dans cette pièce maudite. Nous avons petit à petit adopter cette manière codée afin qu'elle sache sans que je n'aille à le dire clairement.

Ce n'est pas l'idéal, mais c'est mieux que rien.

Etre tombée dans les escaliers signifie un client violent. La faute à pas de chance tout simplement.

Mon visage doit être encore plus marqué que ce que je le pensais pour qu'elle s'alarme à ce point. J'espère que ça ne mettra pas trop de temps à cicatriser.

Nous mangeons rapidement et en silence le simple bouillon qui nous est servi. Enfin, je devrais plutôt dire le bol d'eau chaude. C'est à peine s'il y a l'équivalent d'un légume entier dans ce repas.

Une fois mon plateau redéposé, je me rue vers mon bâtiment. Ou plutôt je marche aussi vite que permis. Oui, notre vitesse est elle aussi réglementée. Je suppose que c'est pour repérer ceux qui tentent de fuir.

Je frotte mes bras en tentant de récupérer un peu de chaleur. L'hiver est proche et nous n'avons pas de chauffage. C'est de loin la pire période de l'année.

Il n'y a personne dans la chambre. Pas un bruit.

Pas un bruit du tout.

Je me précipite vers mon lit. Vide. Madi n'est plus là, les draps qui l'entouraient sont défaits et sa couverture a elle aussi disparue.

Ils me l'ont prise.

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