Chapitre 10

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J'ouvre doucement les yeux. Aussitôt, la lumière m'agresse, me forçant à les refermer. Je me suis encore évanouie. Mais cette fois, ce n'est pas à cause de la fatigue ou d'une quelconque maladie. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, je reprends quelques forces dernièrement.

Non, cette fois, j'ai eu droit à un client plus que violent. L'un des pires d'ailleurs, il a une certaine réputation. Chaque fois qu'il vient, l'une de nous finit dans cet état. Et ce soir, c'était tombé sur moi. Pas de chance il faut croire.

Mon corps est complètement endolori et ma gorge me fait encore souffrir. Quant à mon entre-jambe, je ne préfère même pas y réfléchir. Les images sont encore bien trop vivaces et ses mains bien trop présentes. Je voudrais tellement pouvoir effacer chacune de ces sensations.

- Quand je disais que tu pouvais venir quand tu voulais, je ne pensais pas à cet état.

Je laisse mes paupières se relever précautionneusement pour découvrir le visage de Alexandra, un léger sourire aux lèvres.

Notre relation s'est un peu améliorée. Il faut dire que son aide par rapport à la garde de Madi n'y est pas pour rien. Cela nous oblige à nous voir au moins une fois par semaine, parfois plus. Il lui arrive de demander des nouvelles. Que ce soit de ma fille ou de moi. Je ne sais pas pourquoi elle a l'air d'autant s'accrocher à nous. Je veux dire, on n'a rien de particulier ou autre. Peut-être parce qu'il n'y a pas d'autre bébé dans le coin.

Deux mois se sont écoulés depuis son arrivée. Petit à petit, elle a perdu cet optimisme constant, devenant ainsi l'un de ces zombies arpentant les couloirs.

Pourtant, malgré la fatigue extrême qu'elle doit ressentir, elle continue à sourire à ceux que l'on pourrait appeler ses patients. Quand je lui en ai fait la remarque, elle m'a expliqué que c'était un moyen de rassurer, autant les autres qu'elle-même. Et c'est vrai qu'il est plus agréable de se réveiller avec un visage bienveillant que fermé et vide.

Je distingue derrière elle le berceau qu'elle utilise normalement pour ma fille lorsque je la lui confie. Généralement, elle le range quand elle n'en a pas besoin. Mais elle n'est pas censé être là normalement.

D'un regard, je l'interroge. Je ne suis pas sûre de pouvoir faire confiance à mes cordes vocales.

- Une fille est venue tout à l'heure avec Madi dans les bras. Je suppose que c'est à elle qui tu la confie pour la nuit. Tu aurais dû la voir, complètement déchainée. Je crois qu'elle s'est un peu calmée en te voyant mais pour autant elle n'a pas décoléré. Elle a continué à parler de je ne sais quoi à propos d'escaliers, de portes et de meuble avant de me laisser ta fille dans les bras en m'ordonnant de m'en occuper correctement. Je t'avoue que je n'ai pas trop compris tout ce qui s'est passé.

Si j'en avais la force, je lâcherais un petit rire. C'est tellement le style de Raven. Nous avons discuté à plusieurs reprises de Alexandra. Etrangement, j'ai l'impression que je peux lui laisser mon enfant sans trop de soucis. Et Raven est de mon avis aussi. Etant donné qu'elle non plus n'aime pas laisser mon bébé seul, je suppose que c'est la solution la plus appropriée qui lui soit venu à l'esprit.

Je me contente d'un simple hochement de tête accompagné d'une grimace. Je vais mettre quelques temps à m'en remettre. J'espère que ma voix en revanche ne prendra pas trop de temps à revenir. Enfin, techniquement, elle est toujours là. Mais j'ai déjà tenté de l'utiliser avec ma gorge dans un état similaire. Résultat, j'ai été muette durant une semaine complète. Ce qui était loin de plaire à ceux d'en haut.

- Tu devrais éviter de trop bouger. Je ne sais pas par quel enfoiré tu es passée, mais il n'y est pas allé de main morte. Tu es restée inconsciente plusieurs heures.

Je veux bien la croire. Surtout que je ne pense pas que ça soit quelque chose qui l'ait arrêté. Certaines rumeurs courent comme quoi il aurait tué une fille à force de l'étrangler. Je ne sais pas comment il s'appelle. Personne ne le sait. Nous n'avons pas vraiment d'intérêt à connaitre ces personnes.

Elle sort de mon champ de vision quelques temps avant de revenir, les mains chargées de bandes et d'une bouteille de désinfectant. Dans le silence, la brune change plusieurs bandages qu'elle a dû mettre en place plus tôt. Certains sont imbibés de sang. Le pire est certainement lorsqu'elle arrive au niveau de mes poignets. En plus des cordes, les plus coupantes bien entendu, j'ai eu droit à sa forte poigne à plusieurs reprises, enfonçant mes liens dans ma peau.

- Pardon, elle dit alors que je me dégage par réflexe quand elle veut passer le produit, mais je ne veux pas que ça empire. Tu auras déjà bien assez à gérer.

Je prends sur moi durant toute cette période, retenant avec peine grimaces et petits gémissements de douleur.

- Voilà, c'est terminé. Tu devrais dormir maintenant. Je te réveillerai pour aller au réfectoire, tu n'as pas à t'en faire.

D'un regard, je lui montre le berceau d'appoint. J'ai besoin de voir ma fille, m'assurer qu'elle va bien.

Comprenant, elle se dirige vers celui-ci et en sort le bébé entouré de sa couverture. La petite, loin de s'en inquiéter, gazouille doucement en essayant d'attraper une mèche de cheveux. A croire que c'est devenu une habitude entre elles-deux. Je suis heureuse que Madi ait l'air aussi détendue en sa présence.

C'est à cet instant que je remarque comme un petit bracelet tressé sur mon enfant. Voyant où je dirige mon attention, Alexandra m'explique.

- J'aimais bien en faire avec ma mère quand j'étais plus petite. C'était un moyen de me détendre. En fouillant j'ai trouvé de quoi lui en faire un petit. J'espère que ça ne te dérange pas.

Je secoue négativement la tête. C'est la première fois que quelqu'un lui offre un cadeau, quelque chose pour elle. Elle n'a même pas un simple morceau de drap pour faire office de doudou, j'ai déjà eu assez de mal pour avoir sa couverture.

- J'ai l'impression de faire un bond en arrière dans le temps. Tu sais, quand tu ne voulais pas m'adresser la parole.

Je lui adresse un faible sourire d'excuse.

- Ne t'inquiète pas, ce n'est pas de ta faute. D'ailleurs tu risques d'avoir des marques au cou un petit moment. Tu es vraiment tombée sur une ordure.

Je l'entends vaguement marmonner quelque chose à propos de l'incompétence de certains.

- Bon maintenant repos pour tout le monde. Mère comme fille.

Et sans me demander mon avis, elle redépose mon bébé avant de venir près de moi en posant sa main sur mon front.

- Tu n'as pas l'air d'avoir de fièvre. C'est déjà ça. Je doute que tu sois remise sur pied pour ce soir mais ils n'en auront strictement rien à foutre.

Elle soupire. Bien qu'elle se soit faite à l'idée de ce fonctionnement, elle n'arrive pas à l'accepter et montre régulièrement son mécontentement. En tout cas, face à moi. Je ne l'espionne pas non plus pour voir comment elle est avec ses autres patients, même si elle m'intrigue. J'ai clairement d'autres choses à faire, et tout juste assez d'énergie pour.

Il ne me faut pas longtemps pour replonger dans un sommeil agité, les images de cette nuit me revenant en tête.

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