Chapitre 6

844 80 10
                                    

Je me déteste déjà pour ce que je vais faire. Je me déteste, mais je sais aussi qu'il s'agit de la seule et unique solution.

C'est dans un état de fatigue avancé que je pousse donc les porte de ce que l'on pourrait appeler le cabinet médical. Concrètement, un endroit avec quelques lits et de quoi panser des blessures physiques. Rien qui ne se rapporte à un vrai lieu de soin.

La salle n'est pas fort peuplée. La nuit, seul la section plaisir et combat, parfois, travaille. Ces derniers sont d'ailleurs les plus enclin à se retrouver ici. Après tout, ils doivent se battre dans une arène, parfois jusqu'à la mort. Ce sont ceux qui se retrouvent avec le plus de blessures. Et ceux qui meurent le plus rapidement.

Je regarde autour de moi. Où est cette foutue brune ? D'habitude elle me tombe dessus alors que je ne demande que la paix et maintenant que j'ai besoin d'elle, elle est introuvable.

- 46 ?

Un bruit de chute me fait sursauter.

- Bordel c'est pas possible, j'entends.

Quelques instants après, elle apparait enfin, les bras chargés de ce que je suppose être du matériel médical.

- Je ne t'avais pas entendue arriver. Assieds-toi, je reviens. Le temps de déposer tout ça.

Je reste cependant plantée au milieu, attendant simplement son retour.

- Je t'avais dit de t'installer. Enfin bref, qu'est-ce que tu me veux ? Je croyais que tu me fuyais ?

Crois-moi, si je le pouvais, je ne mettrais plus jamais les pieds ici. Mais Madi mérite que je fasse ça pour elle. Si parler avec cette fille me permet de la garder, alors qu'à cela ne tienne.

- C'était quoi ce bruit, j'esquive.

- Rien de bien grave. Disons que les étagères ne sont plus toutes neuves et certaines vis manquent à l'appel. Tu as toujours des séquelles par rapport à hier ?

Courage Clarke, quand faut y aller, faut y aller. Tu peux le faire. C'est pour ta fille.

- Non.

Et je lui explique la situation dans laquelle je me trouve. Au fur et à mesure de son récit, je vois son regard changer. Passant de la consternation à la colère avant de devenir triste.

- Et donc tu me demandes de leur mentir en affirmant que garder ton bébé n'affecte pas ta santé physique ?

Je hoche simplement la tête de peur que ma voix ne tremble. Tout est entre ses mains.

- Je ne peux pas faire ça, tu en as bien conscience ? Ils ne sont pas stupides, ils comprendront rapidement que c'est faux.

- Je sais mais...

- Non je ne peux pas faire ça, je suis désolée. Surtout que tu n'es vraiment pas en état de t'occuper d'un enfant. Je veux dire, regarde-toi. Tu es maigre comme un clou et tes cernes mangent tes joues. Je comprends que ta fille est importante pour toi mais tu ne peux pas passer le relai ? Pas seulement pour ton bien mais pour le sien aussi. Je suis presque sûre que ton corps n'a pas assez de ressources que pour la nourrir correctement.

- S'il te plait. Je... Je ne peux pas la perdre. Pas elle.

La brune commence à arpenter la pièce en marmonnant dans sa barbe. Je vois bien qu'elle est actuellement en plein débat interne.

- Jusqu'où es-tu prête à aller pour rester avec elle, elle finit par demander.

- Aussi loin qu'il le faudra.

Et je le pense réellement. Sans elle, je me sens complètement vide. Alors oui, je pourrais faire quelque chose de complètement fou et irréfléchi s'il y avait le moindre espoir de s'en sortir. La fuite est bien entendu la première idée qui me vient en tête. Après tout, c'est la seule option où j'ai une chance, bien que ridicule, de m'en sortir.

La jeune fille soupire face à ma réponse.

- Ils veulent vous séparer. Peu importe ce que je trouve comme excuse, ils y arriveront à un moment ou à un autre.

- Je ne les laisserais pas faire.

Elle recommence à faire les cent pas, s'arrêtant par moment avant de reprendre son manège.

- Combien de mois ?

- Quoi ?

- Combien de mois a ta fille ?

- Bientôt quatre pourquoi ?

- Pour le bien du bébé, il doit continuer l'allaitement jusqu'au sixième mois dans le meilleur des cas, elle murmure pour elle-même. Ce qui laisse encore deux mois à peu près. Ensuite il faut passer progressivement au biberon. Un peu plus d'un mois. C'est déjà ça de gagné. Après je peux travailler le point de l'instinct maternel et du stress de ne pas avoir son enfant. Une séparation hâtive serait autant traumatisante pour l'enfant que pour la mère ce qui peut conduire à des complications sur le plan psychologique et à terme une psycho somatisation.

- Heu... Je n'ai pas tout compris je crois...

Elle m'adresse un sourire désolé.

- Mauvais habitude, pardon. Pour faire simple, je peux retarder l'éloignement encore quelques temps. Mais pas indéfiniment.

Je recommence à respirer. Je ne m'étais même pas rendue compte que j'avais retenu mon souffle. Elle peut m'aider. Je ne vais pas devoir laisser Madi aux mains de ces hommes, pas tout de suite en tout cas.

- Merci, je souffle.

- Par contre, ta fatigue actuelle est bien réelle.

- Tout le monde est dans le même état.

- Je ne peux pas vraiment te contredire, son regard se voile. Mais toi en particulier a l'air à bout. Je sais que tu vas me répondre que c'est normal, que nous ne sommes plus à l'extérieur et qu'il faut s'y faire pour survivre. Pas besoin, je commence à connaitre le refrain. Sauf que peu importe où tu te trouves, la maternité est quelque chose d'épuisant. Tu ne peux pas continuer ainsi.

- Tu viens de dire que...

- Je sais ce que j'ai dit, elle me coupe. Je ne te demande pas d'abandonner ta fille mais de te décharger un minimum.

- Et comment ?

Est-ce qu'elle pourrait par pitié arrêter de jouer ainsi avec mes nerfs ? Je ne vais plus tenir si ça continue.

- Je ne peux pas la laisser à quelqu'un d'autre. Ma seule amie s'en occupe déjà la nuit. Le jour elle travaille en section mécanique. Tu as déjà vu cet entrepôt ?

- Pas besoin, je vois assez de blessés pour savoir que l'endroit n'est pas sûr.

- Alors quoi ?

Oui, je m'énerve franchement. En même temps, j'en ai plus que marre de cette situation. Je suis à deux doigts de la crise de nerfs et elle est là à s'amuser avec ses demi-phrases.

- Je sais que tu ne m'aimes pas. Mais je pourrais la garder, disons un jour par semaine. J'ai trouvé un style de berceau en voulant faire du rangement l'autre jour. Elle sera en sécurité ici et tu pourras te reposer un peu plus.

- Hors de question, je m'écrie.

- Ce n'est pas négociable. A ce rythme tu vas te tuer tout simplement. Tu veux réellement laisser ta fille seule ? Tant que tu es en vie, tu as une chance de la voir.

Elle a raison. Elle a totalement raison et ça me coûte de l'admettre.

- Tu promets de bien t'en occuper ?

Un léger sourire se forme sur ses lèvres.

- Elle sera traitée comme une reine, tu n'as pas à t'inquiéter.

- Alors... je suppose qu'on peut faire un marché...

- Je pense aussi.

Elle me tend sa main pour sceller notre accord.

- Et si tu pouvais m'appeler Alexandra à l'avenir, ça m'arrangerait. Je ne suis pas trop fan de n'être qu'un numéro.

Double jeu ✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant