Gaëlle n'allait pas se plaindre de recevoir des invitations et de susciter une certaine curiosité. Nombreux étaient ceux qui semblait nourrir un intérêt sincère pour elle et son travail, mais si elle voulait faire son chemin dans le milieu de l'art, elle avait besoin de temps pour elle afin de progresser.
***
Il était précisément dix heures du matin, lorsque Gaëlle accompagnée de Suardika portant sa large besace toqua à la porte bleue. Ses mains tremblaient légèrement. Pas de peur à proprement parler, mais sa nervosité se mêlait à l'excitation et à une folle espérance.
Elle allait au-devant de son avenir, de sa future carrière.
Quand elle avait prévenu Aidan qu'aujourd'hui elle se rendait dans le quartier de Kensington pour visiter le jeune John Everett Millais, l'homme d'affaire avait évidemment grommelé et insisté pour qu'elle soit accompagnée par deux valets qui se tiendraient tout prêt de la porte de l'artiste et il lui fit promettre que sa femme de chambre ne la quitterait pas d'une semelle.
Bien que son coté trop protecteur l'agaça prodigieusement, elle céda, "pour avoir la paix" lui avait-elle déclaré. En réalité, la présence de Suardika l'aidait à garder son courage et sa détermination. Deux fois elle avait failli retourner sur ses pas, et avait commencé à chercher des excuses plausibles qui pourraient expliquer son absence. Mais le babillage enthousiaste de la jeune domestique avait offert une diversion bienvenue à son appréhension. C'était si étrange aux yeux de Gaëlle qui se sentait au carrefour de son existence, de côtoyer des gens qui menaient si paisiblement leurs vies, qui semblaient avancer chaque jour avec au cœur des certitudes profondes et dont les seules craintes étaient de savoir s'il ferait assez beau pour faire un pique-nique durant leur jour de congé.
Elle toqua à la porte.
Un jeune homme, d'environ vingt-cinq ans, au front haut et aux cheveux clairs, en manches de chemise et au tablier recouvert de peinture lui ouvrit. Il accueillit les deux jeunes femmes avec une exquise politesse.
— Excusez ma tenue mesdames, mais je suis en plein travail.
— Mais c'est pour assister à votre processus de création que je suis venue. Surtout pas pour vous gêner. Ce serait plutôt à nous de vous demander pardon de nous imposer ainsi.
— C'est toujours un plaisir d'avoir de la compagnie et Linda, mon modèle, sera ravie, même si je vous demanderais de ne pas la détourner de sa pose, il ajouta à sa remarque un clin d'œil de connivence qui fit perdre le peu d'autorité qu'avait eu son ton.
— J'ai pris de quoi dessiner moi-même si cela ne dérange pas que je me joigne à vous bien sûr.
— Mais je vous y invite, dit-il en ouvrant la porte d'un atelier tourné vers la lumière du nord comme il était conseillé pour ne pas être incommodé par les variations du soleil. Sur les murs s'accumulaient des toiles inachevées de la main de l'artiste lui-même et d'autres, peintes par ses camardes du mouvement préraphaélite, Gaëlle reconnu notamment le style caractéristique de Dante Rossetti. Elle trouvait cela très intimidant, ces jeunes gens semblaient bouillonner d'idées et ils les jetaient pèle mêle sur du papier sans plus y réfléchir que cela. C'était facile vu de l'extérieur. N'étaient-ils pas comme elle sujets au doute, hésitants devant chaque trait de crayon. Elle était pourtant née en voyant une artiste au travail, elle savait presque instinctivement que l'art était de faire paraître simples les idées les plus complexes. Et elle était là pour apprendre. Elle trouva du courage dans ce constat et décrocha son regard des esquisses enlevées posées sur un lutrin. Elle dépassa un paravent et se retrouva en face d'une toute jeune fille à la chevelure auburn, portant un manteau de velours noir brodé et une couronne de fleurs bleues les yeux baissés, assise sur une petite estrade, elle semblait tendre à ses spectateurs un bol de terre cuite. Gaëlle la salua. La jeune Linda lui offrit un sourire timide.
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Quand les loups se mangent entre eux
Paranormal1854 Les jumeaux Cassandre et Arcas sont des meneurs de loups. Une hérédité dont ils se seraient bien passés. Elle vient de couter la vie à leurs parents, assassinés par de mystérieux hommes en noir, possédant des pouvoirs surnaturels qui même à l...