88. Un point noir dans l'obscurité

70 1 0
                                    

- Bonjour Monsieur, je suis Ana, votre hôtesse pour la soirée, dis-je tout en vérifiant son billet et en attachant le bracelet de tissu bleu autour de son poignet. Veuillez me suivre, je vais vous accompagner jusqu'à votre loge.

Je ne savais pas combien de fois j'avais prononcé ces mots. Je les avais tellement répété que je n'avais plus besoin de réfléchir à la formulation de mes phrases. J'en avais presque oublié l'uniforme dont j'étais affublée. Les féministes en auraient fait péter leur soutifs de protestation. Et puis, ces escarpins, ce rouge à lèvre obligatoire... J'étais grotesque. J'avais tant besoin de gagner de l'argent que je ravalais l'once d'ego qu'il me restait à chaque fois que je croisais mon reflet dans les baies vitrées.

Malgré mon accoutrement et le prix prohibitif de cet espace VIP, les gens étaient pour l'essentiel plutôt cools. Visiblement, ils appréciaient de partager un moment convivial entre amis ou collègues. L'heure était plus à la détente et ça m'allait bien. L'écharpe de leur équipe autour du cou ou étirée entre leurs mains, ils scandaient à tout va l'hymne des supporters.

Je pensais qu'être attachée au secteur VIP aurait été un sacerdoce avec son lot de snobs et d'imbus de leur personne. Finalement, ce n'était pas le cas, hormis pour les clients des catégories les plus abordables des loges. Eux prenaient vraiment au pied de la lettre leur statut VIP. Ils avaient sûrement économisé pendant des mois pour enfin profiter de ce privilège une unique soirée et voulaient jouir de ce pouvoir éphémère. Ceux-là prenaient un malin plaisir à me dévisager avec dédain. Je répondais à leurs regards supérieurs par le plus hypocrite de mes sourires en leur présentant les prestations de leur loge; les amuse-bouche et autres boissons ainsi que le bar à cocktail à leur disposition sur le palier central. Je n'attendais rien d'eux, ils n'étaient rien pour moi, comment pensaient-ils m'atteindre après tout ce que j'avais vécu?

Heureusement, ces pensées n'avaient pas le temps de s'installer. La responsabilité de 4 salons me donnait suffisamment d'activité pour ne pas cogiter. Entre les aller-retours pour réapprovisionner les tables et buffets, composer les cocktails, répondre à toutes sortes de demandes, dont les plus fréquentes concernaient la localisation des sanitaires, que je pouvais désormais indiquer les yeux fermés, j'avais de quoi faire. Lors des quelques moments d'accalmie, je jetais un œil sur les écrans qui diffusaient le match pour suivre le score. Je n'avais aucun intérêt pour le foot, c'était uniquement pour m'occuper l'esprit. Regarder des mecs courir en tout sens après un ballon était loin de me passionner. Aucun sport ne m'avait jamais vraiment intéressé et encore moins lorsque j'y avais été contrainte. Référence aux cours d'endurance au lycée, de pures années de torture...

Ca faisait un petit moment que la première mi-temps avait commencé et toujours aucune explosion de joie. A voir les visages crispés des supporters, le match semblait compliqué. Aucun but à l'horizon, ni action significative. L'ambiance s'électrisait. Et les commandes de cocktails s'enchainèrent pour y faire face.

Le temps s'écoulait et finalement, cette mission d'hôtesse se déroulait mieux que prévue. Le seul point que je n'avais pas anticipé était le fait que piétiner pouvait consommer autant d'énergie. Le petit snack que j'avais englouti juste avant d'arriver au stade n'était guère suffisant et je le regrettai vivement. En bref, je crevais la dalle. Et le défilé des petits fours et autres verrines aggravait sérieusement le tiraillement de mon estomac. Lors de ma prise de poste, le manager nous avait bien stipulé qu'il nous était formellement interdit de piocher dans les plateaux et qu'il y serait vigilant. A ce moment précis, les élans de mon ventre vide m'intimaient de braver cet interdit quoiqu'il m'en coûterait. Merde, avec toute la bouffe qui circulait, ce n'était pas un petit burger ou un ravioli en moins qui ferait la différence.

- Toujours ton addiction aux buffets...

Un frisson dévala mon dos jusqu'à mes chevilles... Je dus me ressaisir pour ne pas laisser échapper le plateau entre mes doigts. Je refusais de me retourner. Nul doute qu'il s'agissait de Sacha. Pas besoin de le vérifier. Que faisait-il ici? Ne pouvait-il pas me laisser tranquille? Je serrai les dents et engagea un pas en avant qui devait creusait la distance avec ce briseur de cœur.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Oct 02, 2022 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant