76. Plus à y gagner

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Adam accourut pour m'empêcher d'attraper les morceaux de verre brisé à la main, prétextant que je m'étais assez blessée pour la journée. Je le priai en retour de m'excuser de ma maladresse. Il ne s'en formalisa pas et, aussitôt les dégâts nettoyés, retourna servir les commandes qui affluaient.

Les paroles d'Andrej tournaient en boucle dans ma tête. "T'as été violée... j'me trompe?". Elles résonnaient dans mon crâne et me donnaient d'affreux maux de tête. Violée. Tel un marquage au fer rouge. Un mot qui collait à la peau et que j'avais toujours refusé de porter. Ce n'était pas moi. Je n'étais pas ce genre de fille. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de me sortir... ça?

-Je ne suis pas très doué pour ce genre de truc... reconnut Andrej dépité, en se frottant la tête.

Son visage parut sincèrement désolé. 

-Je ne voulais pas te mettre mal...

Violée... J'étais bloquée à ce fichu mot. Je ne comprenais pas. Pour qui se prenait-il à me balancer ça au milieu d'un bar? Qu'est-ce qu'il voulait?

-Ça ne va pas la tête!!! niai-je farouchement, les mains tremblantes agrippées à mon manteau. T'es allé chercher ça où?

L'angoisse montait inexorablement. Je devais à tout prix me calmer, maîtriser le son de ma voix, prendre un ton détaché et faire diversion au plus vite, le temps de trouver une sortie de secours. 

-Ce n'est pas parce que je ne me laisse pas faire ou que je n'ai pas cherché à coucher avec toi que j'ai forcément un problème!!! ricanai-je.

-Mais avoue que t'en rêves! plaisanta-t-il malgré la tension qui régnait entre nous.

Je n'avais pas le coeur à rire. L'ambiance devint encore plus pesante. 

-Non sérieusement... reprit-il gravement. J'ai pas lancé ça au hasard...

Je baissai les yeux. Pourquoi insistait-il? Et comment avait-il su? Est-ce que ça se voyait sur moi? Est-ce que c'était gravé sur mon front? Est-ce que Sacha aussi l'avait deviné? Cette seule perspective me fit blêmir... 

Le pub s'était considérablement rempli. Les clients s'agglutinaient contre le comptoir pour passer leur commande. Je sentais leurs bras me frôler pour attraper leur verre ou tendre leur monnaie. Cette proximité augmentait mon inconfort. Eux aussi, le voyaient-ils? Est-ce que je suintais de cette puanteur qui s'était immiscée dans mon corps? J'avais envie de disparaître. 

 -J'voyais bien qu'il y avait un truc... poursuivit Andrej à mi-voix. T'es toujours en alerte, tu sursautes à n'importe quoi, t'essaies toujours de fuir, à coup d'excuses bidons, et tu bouffes parfois comme dix alors que t'as que la peau sur les os...

J'ouvris la bouche pour protester... Il leva la main pour m'arrêter avant qu'un seul mot ne sorte.

-Je veux bien croire que t'aies un métabolisme de fou mais à ce point-là?! devança-t-il.

Mon appétit était plus qu'aléatoire. J'alternais les phases où je me goinfrais et celles où rien n'aurait pu franchir mes lèvres. Pas besoin de me faire vomir. La moindre émotion trop forte et je rejetais tout. 

-Et puis, t'as ce quelque chose dans les yeux... reprit-il. Un truc brisé. Et ce regard, crois-moi, je l'ai vu tellement de fois... Le regard de ceux qui ont vécu des trucs qu'ils n'auraient jamais dû vivre... J'arrivais pas à savoir quoi...

J'avais l'impression d'être un suspect dans une enquête, un suspect acculé, dos au mur, complètement coincé, à qui il ne restait que le silence comme défense. 

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant