Une nuit et un jour

21. Quand la vie ne tient qu'à un frisson

Un frisson me traversa de part en part. La voix rauque qui me murmura dans l'oreille était sans aucun doute celle de Sacha. Je restais tétanisée, à moitié courbée, ma main tremblotante sur la coupe, qui risquait à tout moment de chanceler, et moi de l'accompagner. Je n'osai pas initier le moindre mouvement, sidérée d'avoir été repérée. Le souffle s'éloigna de ma nuque, la main de mon dos. Des chaussures claquèrent sur les dalles qui entouraient la piscine, en s'éloignant. Je tournai la tête dans la direction de la silhouette de Sacha qui s'engouffrait dans la foule sautillante amassée à l'intérieur de la maison.

J'étais paralysée par les mots qui venaient d'être prononcés. Le rouge m'était monté instantanément aux joues. J'étais honteuse d'avoir été surprise les épiant, ne fut-ce que par le fait du hasard. Je n'étais pourtant pas restée plus de quelques secondes, juste le temps de réaliser ce qui se déroulait devant mes yeux, mais suffisamment pour regretter intensément de ne pas avoir fait demi-tour plus tôt. J'étais visiblement plus gênée que Sacha. Bien au contraire, il semblait parfaitement assumer ce qui venait de se passer et même en revendiquer une fierté. Ce type était un véritable mystère. C'était immanquablement ce qui le rendait attirant. Attirant? Mince, il ne fallait pas que je sois attiré par un homme maintenant. Je n'étais pas prête. Mes blessures étaient encore bien trop fraîches, elles continuaient irrémédiablement à suinter à chaque jour. Un grain de sel sur celles-ci et tout se rouvrirait inévitablement. Les larmes montaient à mes yeux. Ne pas pleurer. Ne pas pleurer. Tout allait bien. "Tout - respire - va - respire - bien".

- Ah je t'ai enfin retrouvée! s'exclama Camille de sa voix inexorablement enjouée. Prendre l'air? Mon oeil! T'as juste trouvé le champagne! Tu m'en donnes une s'te plait?

Les tremblements de ma main s'étaient calmés. Je lui tendis la coupe que je venais de prendre et en saisis une autre pour moi. Nous trinquâmes et en bûmes une longue gorgée. Sûrement pas pour les mêmes raisons. Moi, j'avais terriblement besoin de faire passer les sentiments contradictoires qui venaient de m'assaillir. Camille, elle, étaient juste morte de soif. Des gouttes de sueur perlaient autour de son visage jusque dans sa nuque.

- Je suis en nage, me dit-elle comme pour me répondre. Il fait une de ces chaleurs à l'intérieur. Mon maquillage ne doit plus ressembler à rien. J'ai une tête à faire peur, c'est ça?

Je lui fis signe que non et la rassura sur son apparence. Elle était parfaite. C'était vraiment ce qu'on pouvait appeler une bombe. Certes, ses yeux vairons ne pouvaient pas la faire entrer dans les canons de beauté standards mais peu importaient les tenues, la fatigue, la sueur qui plaquait ses cheveux autour de son visage et le maquillage légèrement dégoulinant, c'était juste une fille sublime.

- Alors comment trouves-tu la fête? C'est une tuerie, non? Et ce n'est que le début!!

Comment ça, juste le début? Les 3 heures du matin étaient déjà bien avancées, à ce que me disait ma montre bracelet. Je n'avais qu'une envie, celle de rentrer à l'appart. Et puis l'épisode qui venait de se dérouler avait accru mon malaise et mon impression de ne pas être à ma place. Mais, où était vraiment ma place? Je ne me sentais jamais complètement à la mienne en présence de quiconque. Au fil des mois, cette impression s'était ancrée en moi de plus en plus pour en faire partie intégrante. J'appréciais de plus en plus Camille, sa simplicité sous son allure sophistiquée, sa légèreté et son enthousiasme inébranlable. Toutefois, j'avais le sentiment de la tromper sur moi, qu'elle appréciait la personne que je lui présentais en façade sans lui laisser percevoir celle que j'étais vraiment à l'intérieur.

- Alors dis moi? Tu te plais bien ici? insista-t-elle devant mon visage désolé.

- Oui, la fête est très bien. Seulement, je n'ai plus l'habitude de sortir aussi tard et de boire autant, je commence à fatiguer. J'aimerai bien rentrer. Je suis désolée de te demander ça mais est-ce que tu peux me raccompagner?