5. La foudre ne frappe jamais deux fois

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L'après-midi s'était déroulé sans encombre. Camille, fidèle à elle-même, nous avait fait courir de stand en stand, plus pour me présenter ses connaissances - et Dieu sait qu'elle en avait - que pour me faire découvrir les différents partenaires de l'université, comme stipulé dans le programme de la journée. Disciplinée, j'avais salué courtoisement chaque garçon et chaque fille, non sans une certaine lassitude. Il fallait maintenant qu'elle m'emmène découvrir la multitude d'activités culturelles et sportives qui s'offraient à nous. 

- Tu préfères épaules ou fessiers? me questionna-t-elle.

- Tu sais, je ne sais pas si j'ai envie de faire du sport cette année. Ça fait bien longtemps que je n'en ai pas fait...

- Pas pour toi, idiote, me coupa-t-elle.

- Comment ça?

- C'est pour savoir si je te présente les mecs du club de natation ou de foot.

- Tu sais, je commence à fatiguer, rétorquai-je d'un air faussement épuisé. Il est peut-être temps que je rentre.

Je n'avais aucune envie de parader devant des sportifs en vue de satisfaire ses motivations matrimoniales. Ignorant ma réponse, elle me saisit la main pour me conduire vers le stand réservé au club de natation. 

- Toutes les filles aiment les dos et les belles épaules, s'exclama-t-elle avec entrain.

C'était quoi cette manie de m'attraper constamment les mains, les bras, les épaules. J'avais l'impression d'être réduite à un vulgaire pantin, qu'elle déplaçait à sa guise. Moi, qui était loin d'être tactile, je n'osais pas m'offusquer de cette intrusion dans mon espace personnel. Déjà que je ne parlais pas beaucoup, si je commençais à m'écarter à chaque fois qu'elle m'approchait, je risquais de passer pour une fille résolument asociale. Et pourtant, ce n'était pas l'envie qui me manquait de lui repousser violemment la main et de retrouver un peu de ma liberté de mouvements. 

Etonnamment, j'obtempérais docilement et l'accompagnais dans toutes les directions vers lesquelles elle me conduisait. J'avais beau me plaindre intérieurement, à y réfléchir, c'était reposant de ne plus avoir à penser au déroulement de l'après-midi, aux endroits où il fallait aller et surtout comment y aller. Je ne risquais pas de me perdre dans le dédale des innombrables couloirs, des étages, des vastes espaces extérieurs, en faisant semblant de me sentir à ma place. Je n'avais qu'à me laisser porter par le mouvement initié par Camille.

Ce n'était pas exactement comme ça que j'avais imaginé ma journée d'immersion à la fac. Je me l'étais imaginée surtout... seule. Seule comme pour mon arrivée en amphi, seule pour la visite, seule pour manger et enfin seule l'après-midi. Seule comme depuis bien longtemps. Or, depuis ce matin et les premières paroles échangées avec Camille, je n'avais pas été seule une minute. A part peut-être lorsque j'ai dû m'isoler aux toilettes pour répondre à des besoins physiologiques naturels. Et même là, Camille m'avait proposée de me montrer où ils se situaient. Heureusement, aux détours des couloirs, j'avais eu la présence d'esprit de repérer les petites enseignes spécifiques qui permettaient d'identifier sans aucun mal ces lieux ô combien indispensables. Non mais, qu'avaient donc les filles - et pourtant j'en suis une - de se rendre par deux ou plus dans ces endroits, normalement, d'intimité. En quoi la présence d'une ou plusieurs autres était requise à ce moment précis? Ça restait encore un grand mystère pour moi. 

A défaut d'avoir obtenu de réponse précise, Camille me trimbala de club en club, me faisant ainsi bénéficier de tout son réseau. Comment avait-elle fait pour connaître autant de monde? Et surtout comment faisait-elle pour se souvenir de tous ces prénoms. Pour ma part, à peine me présentait-elle un nouveau visage que je l'oubliais instantanément. Je n'avais pas vraiment la mémoire des noms, si bien que l'affluence des prénoms à mémoriser m'y avait fait vite renoncer.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant