58. Une lumière dans la nuit

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-A cause de l'orage... avança Mila prudemment.

-Quel orage?

Et quel rapport avec moi?

-L'orage qui va nous tomber dessus ce soir! m'informa-t-elle avec irritation. Tu regardes jamais les infos?

Pas faux, ça faisait un bail que je ne m'étais pas intéressée à ce qui se passait dans le monde. Et puis, je n'étais pas du genre à mettre spontanément les infos à la télé, et encore moins à la radio. Je les regardais plus par obligation quand mes parents me les imposaient. Depuis que j'étais en colocation, je n'avais pour ainsi dire plus jamais entendu le générique d'un JT. Avant je n'y échappais jamais. Mes parents avaient pour habitude de manger devant les infos tous les soirs de la semaine parce que c'était important de se tenir au courant de ce qui se passait autour de nous, selon eux. Ah ouais? Pour entendre papa fulminer contre la sempiternelle langue de bois de politiciens véreux et leurs mensonges éhontés? Pour voir maman ravaler ses larmes devant les visages ahuris d'enfants affamés en Afrique? Ou encore pour avoir la nausée devant les cadavres de peuples disséminés sous les feux d'une guerre qui les dépassait et dont on avait déjà oublié l'origine? Sûrement pour du pétrole en plus ou d'autres conneries dans le genre. Toujours les mêmes foutaises écoeurantes! Et puis, les journalistes nous assommaient à coups de déclin économique et nous achevaient avec le danger qu'on croisait à chaque coin de rue. Pour ce dernier point, je l'avais appris sauvagement toute seule, pas besoin de JT à la con pour ça!!! Alors regarder les alertes météo? Très peu pour moi.

-Vrai, je ne regarde pas, reconnus-je sans sourciller. Mais, franchement, il a pas plu de la journée, le ciel est dégagé. Tu crois vraiment qu'il va y avoir un orage?

Je rêvais où j'étais en train de parler de la pluie et du beau temps avec Mila? Décidément, mon monde tournait mal.

-C'est ce qu'ils ont dit! insistait-elle tout en triturant nerveusement les breloques qui pendaient à ses poignets.

Elle devenait livide. Sérieusement, je doutais fortement qu'il y ait un orage mais si c'était le cas, et alors? Ça n'expliquait pas pourquoi j'étais là ce soir.

-Et de quoi t'as peur? Que l'orage emporte la maison? De te faire foudroyer sur place?

-Putain, te fous pas de ma gueule! fulmina-t-elle en serrant les points contre ses cuisses. Ça me fout vraiment les boules!!! Tu peux pas comprendre. Je peux pas t'expliquer mais les orages...

Ses yeux brillaient, son corps frissonna.

-Ok, ok. Désolée, tempérai-je en constatant que sa peur était bien réelle.

Son corps était tout contracté, un mélange d'anxiété et de fureur. Mieux valait faire marche arrière et ne pas la pousser plus dans ses retranchements au risque de devoir essuyer une salve d'insultes ou une crise. Je pris le parti de faire redescendre la tension en essayant de sonder son truc avec les orages.

-Et c'est pour ça que je suis là? Pour rester avec toi s'il y a un orage?

Mila croisa les bras et s'appuya contre le mur du couloir. Plutôt que de l'admettre, elle baissa les yeux et se mordit l'intérieur de la joue avant de reprendre :

-Tu me trouves ridicule?

Ouais, je trouvais ça ridicule. Mais, bon, moi, je ne pouvais pas marcher la nuit tombée sans avoir le coeur prêt à s'arracher de ma cage thoracique et à m'abandonner sur le champ. Alors, qui j'étais pour plaisanter sur ces peurs, fut-elles insensées? Elle avait ses raisons et j'avais les miennes. Mila et moi, nous accordions visiblement sur un point: on était toutes les deux sûrement un peu cinglées.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant