Une nuit et un jour

31. C'est quoi ça?

A notre nuit... Ces mots raisonnaient en moi. Je bus mon verre en grimaçant tant le goût du whisky heurtait violemment mes papilles. Je ne pus retenir un râle après l'avoir vidé de son contenu. Sacha l'avait bu d'une seule gorgée comme si ça avait été du petit lait. Il n'avait pas émis le moindre signe de désagrément quand le liquide brunâtre avait franchi son palais. je me demandai comment il pouvait apprécier ce breuvage tourbé.

Il passa une main le long de ma nuque jusqu'au sommet de mon crâne, en me décoiffant au passage, et me fit baisser la tête en riant.

- Viens, on sort, j'ai besoin d'une clope.

Il prenait la fâcheuse habitude de décider pour moi sans me demander mon avis. Pour lui faire comprendre que j'avais mon mot à dire et qu'il devait le prendre en compte, je lui stipulai:

- Je ne fume pas, moi.

- Hors de question que je te laisse avec ces chacals. Toi et ta petite robe dorée, vous me suivez.

- Des chacals? T'es sympa avec tes potes! ricanai-je.

- Juste réaliste!

- Il fait froid dehors, prétextai-je pour ne pas le suivre.

Sacha se pencha vers la pile de manteaux entreposés sur un siège non loin de lui et récupéra ma veste. Il m'attrapa la main et m'entraîna au travers de la foule pour rejoindre la sortie. Une fois à l'extérieur, il me tendit mon manteau et s'alluma une cigarette. L'air frais de cette nuit attaqua ma peau et me fit grelotter. Nous nous décalâmes de l'entrée quand sortirent à notre suite des petits groupes, eux aussi venus pour s'aérer et prendre leur dose de nicotine.

Je croisai les bras pour me réchauffer tant bien que mal. Comment faisait-il pour ne pas trembler de froid juste avec cette chemise vaporeuse? J'observai Sacha tirer sur sa cigarette et recracher longuement la fumée en volutes éphémères. Il était planté devant moi et son regard se fixait sur moi sans s'en décrocher. Je sentais une tension entre nous que je n'arrivai pas à définir. Je l'avais peut-être plus vexé devant Séb que je ne l'avais pensé. Il m'en voulait certainement beaucoup pour se murer dans le silence.

Sa cigarette finie, il la jeta par terre et baissa les yeux vers son pied tandis qu'il l'écrasait. Quand il remonta ses yeux vers moi, il fit un pas vers moi. En réaction, je fis un imperceptible mouvement en arrière. Il posa ses mains en coupelle autour de mon visage et écrasa sa bouche contre la mienne. Je sentis sa langue caressait mes lèvres jusqu'à se frayer un chemin dans ma bouche et s'entortiller autour de la mienne. Je ne réussis pas à immiscer le moindre mouvement, mes bras bloqués contre mon ventre par le torse ferme de Sacha. Une chaleur soudaine m'envahit et je fermai les yeux pour la laisser m'inonder. Sa langue avait un goût de whisky parfumé au tabac. Si ce n'avait pas été lui, ça m'aurait fait fuir assurément. La témérité et la délicatesse de ses mouvements me faisaient frémir. Je sentis une vague d'émotions, longuement tues, déferler et s'abattre sur moi.

Sacha éloigna son visage du mien, posa longuement son regard sur moi et dégagea, d'une main tendre, une mèche de cheveux qui me tombait devant les yeux . Sa respiration s'était accélérée. Son souffle chaud chatouillait mon visage. Ce baiser me troubla parce que je ne l'avais pas prévu, parce que je n'en voulais pas, parce que c'était Sacha, parce qu'il me bouleversait.

- C'était quoi?

Je n'étais pas sûre que cette question s'adressait vraiment à Sacha ou si je me la posai. Sacha retira ses mains de moi, me dévisagea visiblement surpris par ma question. Il semblait jauger ma réaction.

- Ne me fais plus jamais ça! complétai-je d'un ton ferme et sans appel.

Pour appuyer mon avertissement et me laisser le temps de reprendre mes esprits, j'esquissai un demi-tour vers l'entrée du bar quand sa main se saisit de mon poignet m'obligeant à le regarder.