Une nuit et un jour

60. Se raconter des histoires

Je préférai ne pas relever ces mots qui affolaient mon coeur et mon esprit. Me recentrer sur mes cours, ma vie plate et morne et ne pas succomber aux chants des sirènes. Plus simple à dire qu'à faire. Il fallait le voir baisser la tête, plisser ses yeux bruns et me les planter dans les miens. Je le rejoignis en trainant des pieds, me laissant ainsi le temps de me ressaisir et de ne pas me laisser emporter par des émois que je ne réussissais pas à contrôler.

Arrivée sur le canapé à côté de lui, je me faisais prudente, les mains posées sur mes genoux, pour m'empêcher de les laisser vagabonder là où elles mourraient d'envie d'aller. Sacha nous servit nos verres de Bailey's. Il fit un rapide aller-retour à la cuisine pour prendre des glaçons, puis me tendit le verre qu'il m'avait rempli et prit le sien. Nous trinquâmes brièvement. Sacha reposa son verre et pivota vers moi. Il passa une main sur mes genoux et la fit glisser le long de ma cuisse. Il commença à m'embrasser dans le cou. Je gardais les mains fixées sur mes rotules, gardant tout ce que je pouvais de raison pour ne pas flancher. Sa bouche remontait vers la mienne, sa main s'aventurait sous mon tee-shirt.

Dans un soubresaut de conscience, je plaquai une main contre sa poitrine pour le maintenir à distance. Coupé dans son élan, son regard m'interrogea.

-Tu veux pas qu'on discute un peu? osai-je fébrilement.

Sacha fronça les sourcils, lança un coup d'oeil à sa montre et se laissa tomber sur le canapé à côté de moi. Après avoir retiré ses chaussures, il posa les pieds sur la table basse et s'enfonça un peu plus dans les coussins du canapé.

-A 5 h et demi du mat', t'as envie qu'on discute? dit-il sarcastique en insistant sur ce dernier mot. Tu veux parler de quoi?

Tourner 10 fois la langue dans sa bouche avant de proposer quelque chose.

-Je ne sais pas moi, admis-je désarçonnée.

J'avais pourtant tout un tas de questions qui tournaient dans ma tête depuis que je l'avais rencontré. Qui es-tu Sacha? Où sont tes parents? Pourquoi Mila est-elle en panique à cause de l'orage? Pourquoi Andrej me déteste? Qui suis-je pour toi? Une énième conquête? Pourquoi me fais-tu cet effet? Quelle est ta part d'ombre, ton truc qui cloche?

- Comment s'est passée ta soirée?

Et voilà la question bateau qui était sortie à la place. C'était clair que j'allais vraiment plus le apprendre sur lui avec mes qualités d'investigatrice.

-Tu sais, le travail, y a pas grand chose à dire, asséna-t-il.

Bon, ce fut un échec cuisant. Je bus une gorgée de mon verre. C'était bon. J'avais oublié le goût à la fois doux et puissant du Bailey's. J'en repris une autre.

-Tu travailles souvent la nuit? essayai-je une nouvelle fois.

-Souvent oui et non, réfléchit-il. Tout dépend des périodes. Le business n'a pas d'heure.

La conversation avec Sacha n'était assurément pas chose facile. J'avais beau passer de plus en plus de temps avec lui, c'était toujours un exercice périlleux. Et à l'évidence, j'étais mauvaise acrobate. Le silence remplit l'espace entre nous. Seul le bruit de nos gorgées venait le perturber par moments. J'étais étonnée qu'il n'alluma pas la télé. Jusqu'ici, ça avait été son habitude, pour combler le vide. Au lieu de ça, nous restâmes un temps indéfini, mais beaucoup trop long, à contempler nos verres en nous isolant dans nos pensées.

Je regrettai d'avoir suggéré de parler. Visiblement, ce n'était pas notre point fort. Ni lui, ni moi n'étions fait pour l'échange. Je n'aurais pas pu tout simplement me laisser aller, m'abandonner à ses baisers et juste passer un bon moment dans ses bras. Pourquoi devais-je toujours tout gâcher? Pourquoi ma vie était-elle pourrie?