Tous les regards convergeaient vers moi. J'aurais voulu me faire toute petite et décamper sur le champ. Au lieu de ça, je baissai les yeux, serrai les mâchoires. Rouge de honte, je me précipitai vers la place libre la plus proche, sans prendre la peine d'enlever mon manteau.
-Allez-y prenez votre temps, ce n'est pas comme si nous avions notre temps! ironisa-t-il le visage fermé.
Décidément, Monsieur Evrard était vraiment un prof que j'allais détester. Son air imbu de lui-même, ses répliques acérées et sa tendance à humilier les étudiants qu'il prenait en grippe s'étaient révélés dès le premier cours. J'entamai le second et je me demandai déjà comment j'allais le supporter un trimestre entier. Avec ses costumes trois pièces hors du temps et son comportement plus que rigide, il me fit monter une vague de haine, que je refoulai tant bien que mal pour essayer de me concentrer sur le contenu du cours. Evrard venait de reprendre, comme s'il ne venait pas de m'humilier à l'instant devant un amphi bourré à craquer.
J'aurais mieux fait finalement d'aller dans un bar boire un café avec Sacha. Mon esprit divaguait à imaginer ce qu'il pouvait bien être en train de faire en ce moment-même. Dormir. Dormir, bien sûr. Il n'avait pas encore fermé l'oeil et après cette nuit blanche, il en avait sans nul doute bien besoin. J'avais beaucoup de peine à suivre le flot continu des paroles du prof. Je voyais le visage de Sacha, doux et dur à la fois, les expressions énigmatiques de ses yeux, sa bouche qui se déformait en des rictus charmeurs... Et puis, sa façon de se comporter comme... nul autre que je connaissais. J'avais du mal à le cerner. Ses réactions me déstabilisaient, me faisaient hérisser le poil par moments. Il me bousculait et m'obligeait à sortir de ma coquille en quelque sorte.
Mes bâillements se succédaient sans que j'arrive à les réfréner. Décidément, ce cours allait être beaucoup plus pénible que prévu. En plus, Camille n'était pas là. Elle était sûrement en train de dormir, elle aussi. Evrard distillait des concepts particulièrement complexes, sans pour autant accorder le moindre intérêt aux mains qui se levaient à intervalles réguliers et tentaient de décrocher des éclaircissements. J'étais dépitée par son manque de considération envers ses étudiants qui, comme moi, ne demandaient qu'à apprendre. Bon pour moi, un peu moins ce matin.
Quand il revint à son bureau pour consulter ses notes et sa montre par la même occasion, je profitai de cette courte pause pour enlever mon manteau, qui me tenait beaucoup trop chaud. J'eus à peine le temps de le poser à mes côtés qu'Evrard repartit de plus belle.
Après quelques minutes, il s'interrompit brusquement. Il régna subitement un silence de mort. Seule une fille aux cheveux châtain attachés avec une barrette était retournée vers le rang derrière elle, visiblement en train de demander un renseignement. Lorsqu'elle s'aperçut du calme soudain qui avait envahi la salle, elle s'installa à nouveau correctement sur sa chaise, tournant sa tête inquiète de gauche à droite pour savoir si elle était bien la cause de cette interruption subite du cours.
D'une voix à nous faire tous tressaillir, Evrard confirma ce que la jeune étudiante craignait :
- Mademoiselle, vu que vous n'avez plus besoin de suivre ce que je dis, vous allez pouvoir clarifier certains concepts, que nous venons d'aborder, à vos camarades!
Je regardais, impuissante, le visage de la fille se décomposer au fil des mots que lui crachait le prof, ne parvenant pas à dissimuler une pointe de sadisme. Lorsqu'il lui posa sa question, elle bafouilla une réponse peu convaincante. Mais qui aurait pu mieux faire? Aux regards fuyants de chacun d'entre nous, je voyais bien que nous priions tous pour qu'il ne nous désigne pas comme potentielle cible. Heureusement pour nous autres, il décida de s'acharner un peu plus sur sa proie qui, comme prise entre ses crocs, pressentait, paniquée, sa dernière heure venir. Evrard la mitrailla de nouvelles questions, auxquelles elle se révéla bien évidemment incapable de répondre. A ses yeux humides, je remarquai qu'elle était sur le point de craquer.
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Une nuit et un jour
Storie d'amoreL'université. Une page qui se tourne sur le lycée. Des promesses d'une nouvelle vie et un autre avenir... Effacer cette nuit où tout a basculé et chaque jour faire un nouveau pas. Partir en laissant derrière elle sa vie d'avant. Avec pour seul...