38. L'entre-deux

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La route se fit sans un mot. Ni lui ni moi ne prîmes l'initiative de prendre la parole. Etait-ce parce que nous sentions la séparation imminente? Ou était-ce mon refus d'aller au ciné qui avait jeté un froid entre nous? Je n'aimais pas quand une tension s'insinuait entre nous mais je ne sus pas comment rompre le silence. Aucun mot, aucune parole ne m'était parvenu.
Arrivés à proximité de mon immeuble, je fus à la fois soulagée d'abandonner cette pesanteur mais submergée par les émotions que me suscitait la perspective de quitter Sacha. Le reverai-je? D'un coup, je regrettais de ne pas avoir accepté son invitation. Pourtant je savais qu'il était préférable de prendre une distance avec lui, pour y voir plus clair. Et puis, je ne serais pas sans le revoir s'il suivait son frère pour chercher Marine. Une petite angoisse me saisit lorsque je me fis la réflexion que si Andrej et Marine se quittaient, Sacha n'aurais plus d'occasion de passer à l'appartement. Et avec les derniers rebondissements, c'était une éventualité à envisager. Se deplacerait-il pour moi? Viendrait-il pour me voir?
Nous arrivâmes devant l'immeuble. Je fus surprise quand Sacha poursuivit sa route et depassa l'entrée de l'immeuble pour se garer un peu plus loin. J'avais pensé qu'il s'arrêterait juste le temps de me laisser récupérer mon sac et de lui dire au revoir. D'ailleurs comment allais-je lui dire au revoir? Un simple salut de la main, la bise où un unique baiser sur la joue? Imaginer la sensation de sa peau sous mes lèvres me coupa la respiration. Un simple geste de la main devrait suffire. Mieux valait ne pas tenter le Diable. Même si je ne voyais pas précisément ce que le Diable pourrait faire à part faire glisser mes lèvres vers sa bouche. Le moteur se coupa. Oh, je devais descendre de cette voiture immédiatement! Aussitôt dit aussitôt fait.
Sacha en fit de même et récupérera mon sac dans le coffre.
- Merci, merci pour tout, formulai-je d'une voie incertaine.
Merci pour ta présence, merci d'avoir pris ma défense cette nuit, merci d'être là. Plus je pensais aux remerciements que je ne pourrais pas lui formuler à voix haute, l'urgence me pressait de me rapprocher de la porte d'entrée et d'abréger cet entre-deux perturbant.
Comme répondant à mes supplications, mon téléphone sonna. Camille.
- Oui Camille? répondis-je.
- Salut, ma belle. Ça va?

Une voix enjouée raisonna dans le téléphone.

- Oui, oui, répétai-je pour dissimuler mon embarras du moment.
- T'es où là?
- J'arrive chez moi.
-Ah t'arrives...?
À son ton suspiscieux, j'aurais voulu me claquer de ne pas m'être restreinte à un simple chez moi. Je sentais que j'allais être bombardée de questions embarrassantes éminemment sous peu. Elle n'en fit rien.
- Je peux passer? demanda-t-elle pleine d'entrain.
- Maintenant?

- Ouais.

- Euh..

Je ne savais pas si cette idée devait me réjouir ou non. Alors que je prétextai à Sacha de vouloir rentrer chez moi pour me reposer, s'il comprenait que Camille débarquait aussitôt après son départ, comment le prendrait-il? Mais pourquoi me torturais-je ainsi? Je n'avais aucun compte à lui rendre et je pouvais faire les choses comme bon me semblait. Pourtant, je n'avais aucune intention de le froisser et de perdre toute infime chance de le garder dans mon environnement. J'avais une drôle de façon d'envisager les choses, dans mon environnement. J'étais incapable pour l'instant d'appréhender sa présence en d'autres termes. Est-ce que je voulais que nous soyons copains, amis ou plus? Si je pouvais qualifier mon besoin de lui, il serait un satellite, à bonne distance mais toujours autour de moi. Je regardai Sacha qui tenait toujours mon sac dans sa main. Il le laissa tomber au sol et s'alluma une cigarette.

- Okay... Mais Sacha sera là, débitai-je.

Sacha toussa après avoir avalé sa fumée de travers. Je crus l'avoir désarçonné par mon initiative. En tout cas, je m'étonna moi-même et je perçus dans le silence à l'autre bout du téléphone que la surprise fut générale. Ce qui me fit me demander comment les gens pouvaient donc me percevoir pour qu'une invitation à passer du temps avec moi puisse être de l'ordre du miracle. Bon, il était clair que depuis le peu de temps que je côtoyais Camille, je lui avais plus opposé des refus à la suivre que proposer de faire des choses ensemble. En revanche, pour ma défense, une semaine, c'était court pour établir une image asociale de moi, bien que un mois plus tard, il y aurait de grandes chances que cette hypothèse aurait été confirmée.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant