64. A côté de la plaque

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Que voulait-elle dire par là? C'était malin de me foutre un truc pareil dans la tête alors que nous accompagnions ce type dans le dédale des couloirs, des salons et des autres pièces qui se succédaient. Pourquoi me le présenter s'il était si peu fréquentable? J'en étais venue à me questionner, plus sur les motivations de Camille, que sur le profil de ce Paul. Je ne comprenais pas ce que nous faisions ici, avec lui, au regard de son avertissement. Etait-ce un tordu? Ca ne m'aurait pas étonnée. Il m'avait mise d'emblée mal à l'aise. Cette façon prétentieuse et déplacée de m'aborder, de me toiser comme si j'étais un objet, m'intimait de rester sur mes gardes.

Ma méfiance grandit lorsque nous nous arrêtâmes dans un bureau éloigné des pièces de réception. Les bruits des discussions et des éclats de rire me parvenaient à peine, étouffés par les cloisons qui nous en séparaient. Paul referma la porte derrière nous. Plus aucun son. La pièce était parfaitement insonorisée. Ce soudain silence ne me rassura pas. Bien au contraire. Je me sentis comme un animal pris au piège. Que personne n'aurait entendu si la situation tournait mal. Je me voyais soudainement la victime d'un scénario macabre écrit par un couple diabolique. Mon sang pulsait contre ma tempe. Mes mains devinrent moites. Je les frottais nerveusement. Je regrettais la présence de Jonas. Mais bon sang, pourquoi je me foutais toujours dans des situations merdiques?

Mon angoisse grimpa jusqu'à m'oppresser. Il fallait que je l'empêche de prenne entièrement possession de moi. J'essayai de me concentrer sur l'aménagement de la pièce. Je promenai mon regard sur le bureau, en bois de bonne facture, qui trônait dans un angle de la pièce, sur les hautes bibliothèques qui recouvraient la quasi totalité des murs, sur les deux canapés qui se faisaient face. Ce bureau aurait pu être un endroit agréable dans d'autres circonstances. Là, il m'apparaissait menaçant. Ce huis-clos était en train de se jouer de mon esprit.

Paul nous invita à nous installer sur un des canapés tandis qu'il se dirigea vers la partie basse d'une des bibliothèques, fermée par des portes. Il en sortit une bouteille de scotch et des verres qu'il vint déposer sur la table basse. Puis, il s'installa face à nous. Après avoir versé le liquide brun, il nous tendit à chacune un verre, sans nous demander si nous en voulions, comme si nous n'avions aucune volonté propre. Camille s'en empara et le porta à ses lèvres. Elle grimaça. Je préférai ne pas y toucher. De toute façon, je n'aimais pas ça.

Son verre en main, Paul s'enfonça contre le dossier et en but une longue gorgée en me fixant d'un regard pénétrant. Je tentais de m'y soustraire en laissant mes yeux errer sur les étagères bordées de livres.

-J'espère que vous êtes motivée, Ana, me sonda-t-il avec un sourire en coin. J'ai des clients exigeants, pas toujours commodes à satisfaire.

La façon dont il prononça ces mots me donna envie de prendre mes jambes à mon cou. Son regard libidineux fit croître en moi le besoin de mettre le plus de distance entre moi et ce type. Comment pourrais-je travailler pour ce genre de mec? Comment Camille avait-elle tout simplement pu penser que c'était la solution à mes problèmes? Il fallait faire marche arrière au plus vite, rebrousser chemin.

Je saisis mon verre pour détourner mon attention sur le liquide qui s'agitait contre les parois.

-En fait, je ne suis pas sûre de vouloir un job dans l'immédiat. C'est peut-être un peu prématuré.

Je cherchai le soutien de Camille en me tournant vers elle.

-C'est vrai, Camille, lui avouais-je. C'était un coup de nerf. Je n'ai pas réellement réfléchi à la question. On en a parlé rapidement. J'étais un peu perdue à ce moment-elle.

Ses yeux ronds m'interrogeaient perplexes.

-Après réflexion, Camille, développai-je, je ne pense pas que ça soit une bonne idée.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant