Une nuit et un jour

14. Un saut dans le vide

- Tiens, donne-moi ton numéro de portable s'il te plait, me demanda Camille en sortant son iphone de son sac.

Nous nous tenions à la porte de l'amphithéâtre dans l'attente de pouvoir y entrer. J'acceptai aussitôt et enregistra le sien dans mon répertoire. Ça faisait quasiment une semaine que nous passions nos journées collées l'une à l'autre et aucune de nous n'avait fait la démarche plus tôt. Voilà, c'était désormais chose faite.

Camille ne m'avait fait aucune réflexion quant à l'incident de la veille et je m'en réjouissais. Je n'avais aucune envie de revenir sur la réflexion qu'elle m'avait faite en quittant la salle de TD et de lui fournir les explications qu'elle me réclamait. D'ailleurs, elle avait peut-être même oublié. En sortant mes affaires sur la table où nous nous étions installées, je ne pus m'empêcher de la contempler nouer négligemment ses cheveux flamboyants en un chignon quasi parfait. Si je faisais de même, j'étais certaine de ne pas parvenir au même résultat.

Fidèle à elle-même, elle était pimpante, habillée d'un jean brut et d'un pull camel. Sa parka kaki était posée précautionneusement sur la table derrière nous. En même temps que je l'observais, je regardai mon vieux jean délavé et mon pull gris informe élimé. Seules mes baskets faisaient bonne figure car récemment achetées, dans un magasin de démarque. Camille avait vraiment du goût et assurément les moyens financiers pour l'assumer. Je l'enviais d'avoir ces facilités que je lui prêtais, sans en avoir la réelle confirmation. Je prenais tout juste conscience qu'elle était très volubile concernant sa vie étudiante mais très peu sur sa vie familiale. Elle était même plutôt discrète sur le sujet. Je ne connaissais en réalité rien concernant sa famille. Avait-elle des frères et surs? Que faisaient ses parents dans la vie? Avait-elle toujours vécu ici?

Par contre, quand il s'agissait de Lionel, elle se révélait très loquace. Elle m'avait racontée en long et en large la soirée en amoureux qu'elle avait passée avec lui la veille, toute excitée de la tournure que sa relation avec lui prenait. Plus elle passait du temps avec lui, plus elle se rendait compte que c'était un mec génial. Elle se demandait pourquoi elle ne l'avait pas rencontré plus tôt, tout en déclarant que ça lui aurait évitée bien des déconvenues. Lionel était si beau, si doux, si gentil... Elle était dithyrambique. Hormis quand elle évoquait son comportement en présence de ses coéquipiers de rugby.

- Je te jure, c'est comme si je n'existais plus! s'offusquait-elle en croisant les bras.

- C'est peut-être de la pudeur...

- De la pudeur, je lui en foutrais moi de la pudeur!

- Tu sais, les mecs entre eux, ils ont tendance à se charrier si l'un deux est un peu trop love avec sa nana. C'est peut-être le cas pour Lionel.

- T'as sûrement raison, concéda-t-elle en se détendant, mais c'est super chiant! C'est à peine si je peux l'approcher en présence de ses potes.

A chaque fois que Camille se plaignait de Lionel ou me détaillait les bons moments qu'ils passaient ensemble, j'avais un pincement au cur. Depuis Guillaume, ma vie sentimentale était un désert sans nom. Comment aurait-il pu en être autrement? Je refusais qu'un homme m'approche. Oh, il y avait bien eu ce type cet été, qui passait quasiment tous les jours à la boulangerie, lorsque j'avais remplacé ma mère pour qu'elle puisse se reposer. Il n'était pas mal physiquement, pas extraordinaire, mais avec beaucoup de charme. Il me faisait des compliments, avait toujours un mot gentil et m'avait même invité à dîner. Il s'y était cassé les dents. Outre le fait qu'il avait le double de mon âge, la proximité d'un homme me terrorisait. Heureusement que mon père n'était plus aux fourneaux à l'heure où il avait l'habitude de passer, sinon il se serait fait chasser à coups de pied dans le c... comme aurait dit papa.