87. Le mal par le mal

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Plusieurs semaines avaient été nécessaires pour commencer à remonter la pente et un seul coup de fil pour me la faire dévaler en arrière. Ma main tremblante lâcha le téléphone sur le lit. Quelle idée avais-je eu de décrocher? C'était comme un shoot d'héro sous benzo; à la limite du coma, je n'arrivais plus à respirer. La voix de Mila m'avait renvoyée instantanément aux côtés de Sacha. J'avais ressenti de nouveau l'odeur de sa peau, ses doigts qui effleuraient mon corps, la pression de ses lèvres sur ma bouche, jusqu'au goût de la trahison qui me révulsa jusqu'à l'écœurement. J'avais mal. Tellement mal. A en vomir.

Qu'est-ce que Mila espérait? Que je déboule chez elle pour remettre Sacha sur pied? Si Sacha n'était plus que l'ombre de lui-même, ça faisait bien longtemps que j'expérimentais cet état. J'aurais dû jubiler de le savoir mal. Mais, il m'était impossible de m'en réjouir.

J'avais un urgent besoin d'air. J'ouvris la fenêtre de la chambre, le contact de la pierre froide du balcon glaça mes pieds nus. J'inhalai à pleins poumons, absorbant l'air humide et terreux de cette nuit. Mes yeux arpentèrent le contour des arbres que dessinait le soleil déclinant. Appuyée sur la rambarde, une voix me murmurait de sauter, que tout serait enfin fini. Cette pensée me soulagea. Un instant. Trop court. La seule chose qui me retenait était d'imaginer mon corps en contrebas abîmé, détruit, à la vue de tous. Je voulais qu'il disparaisse, qu'il n'y en ait plus aucune trace. Je ne voyais aucune issue à ce mal-être qui me rongeait chaque jour un peu plus.

Une main sur mon épaule me fit sursauter.

- Allez rentre. On va squatter avec les mecs. Inutile de ruminer des idées noires ce soir. Elles pourront attendre demain.

Mes épaules s'affaissèrent.

- J'ai pas envie de jouer à la play... dis-je d'une voix à peine audible.

- Non, on va prendre l'air! répliqua-t-elle en l'accompagnant d'un sourire en coin.

Camille me dirigea vers l'intérieur et referma promptement la porte-fenêtre.

- C'est toujours mieux que de calculer la distance entre mon balcon et le sol, souffla-t-elle alors qu'elle me tournait encore le dos.

Mon coeur se serra face à la perspicacité de Camille. Elle lisait en moi comme dans un livre ouvert. Comme le faisait Elise... Avant.

- Et en plus, on n'a aucun effort vestimentaire à faire. Ce n'est que Jon et mon abruti de frangin. Un jean et des vans suffiront. Tu peux garder ton t-shirt difforme, me taquina-t-elle pour détendre l'atmosphère.

Qu'est-ce qu'il avait ce t-shirt? me demandai-je en tirant dessus pour mieux le contempler. Un vieux t-shirt des Pink Floyd que j'avais trouvé un jour dans un carton planqué au fond du garage de la maison familiale. Certes, il était trop grand et légèrement élimé, les couleurs étaient passées, mais ça lui donnait aussi un aspect vintage. Et le vintage était tendance, non? Qu'est-ce que j'y connaissais des tendances en fait?

- Tiens, tes Vans...

Mes chaussures atterrirent sur mes pieds. J'attrapai rapidement une paire de chaussettes noires. Je ne savais plus à qui elles étaient; si c'était celles de Camille ou les miennes. Camille n'avait pour ainsi dire aucun instinct de propriété. Ni envers ses affaires, ni envers les miennes. J'étais clairement plus avantagée par ce trait de caractère qu'elle. Sa garde-robe était clairement plus généreuse que la mienne et Camille m'avait encouragée à en profiter. Après des débuts timides, j'avais pris beaucoup plus d'aises.

Alors, voyant Camille avec mon pull oversize vert sapin, je lui empruntai sans hésitation son sweat Brooklyn violet. Il était doux presque réconfortant. C'était exactement ce qu'il me fallait. Un doudou incognito en société en somme. Je secouais la tête à la pensée de cette gaminerie.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant