52. Le monde est petit

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Ce look d'hipster ne m'était pas inconnu. Mais, je n'étais pour ainsi dire pas très physionomiste. j'avais croisé tellement de personnes depuis que j'étais arrivée dans cette ville. Entre la fac et les sorties, j'aurais pu les compter par centaines. Impossible de faire le lien. Il me fallut de longues secondes pour mettre un nom sur ce visage. Séb. Oui, c'était bien lui.

Le monde était vraiment petit. Je continuais à le dévisager le plus discrètement possible. Il était installé trois tables plus loin, devant une fille aux cheveux châtain clair, un peu ronde, qui partageait les mêmes goûts que lui pour les tatouages et les coupes de cheveux tendances. Elle arborait un look un peu pin-up vintage, s'il fallait le définir, avec son jean brut taille haute, sa chemise à pois bleu marine et son foulard rouge noué dans les cheveux. Elle était très élégante, malgré les fleurs tatouées qui remontaient le long de sa nuque et ses écarteurs d'oreille, qui me faisaient malgré moi mal pour elle.

Qu'est-ce que Séb faisait ici? En l'occurrence, il devait faire comme bon de personnes ici, à savoir manger. Ce n'était un mystère pour personne, dans un restaurant, il y avait de grandes chances pour que les gens présents y mangent ou à défaut y boivent. Ma logique était implacable. Mais sa présence me déroutait. Est-ce que Sacha était là lui aussi? Les battements de mon coeur s'accélérèrent rien qu'à cette perspective. Un rapide balayage de la zone m'amena à la conclusion que non.

Un soulagement teinté de déception s'empara de moi. Dès qu'il s'agissait de Sacha, mon corps en entier se mettait en émoi. C'était une évidence que je combattais corps et âme depuis que je l'avais entraperçus par la fenêtre mais rien n'y faisait. En moins d'une semaine, il avait perforé ma carapace, me rendant plus vulnérable. Et ça, je ne le voulais pas. J'en avais trop souffert. Je devais continuer à me blinder.

Plongée dans mes pensées, j'entendais vaguement Camille me décrire son tissu relationnel et me faire part des amis de son père, qu'elle connaissait bien, qui avaient une agence de je-ne-sais-plus-quoi je-ne-sais-plus-où qui recrutait pas mal et qu'elle pourrait certainement me pistonner pour obtenir un poste là-bas si bon sang je l'écoutais...

Quoi?

-Eh oh, t'es toujours avec moi?

Suivant mon regard, elle se pencha vers moi pour m'interroger à voix basse.

-C'est qui ce type? J'ai l'impression de l'avoir déjà croisé...

-Séb, un pote de Sacha...

-On revient toujours à lui, ma parole.

J'avais bien l'impression, oui. Je repris une bouchée de mon taboulé libanais accompagné de falafels. Il fallait croire que les recettes libanaises avaient la côte chez les hipsters et je comprenais pourquoi. Ces mets étaient une véritable tuerie. Camille avait opté pour la fameuse salade César, que je ne connaissais que de nom, et semblait tout autant se régaler.

-Il n'était pas à l'Usine la semaine dernière? se demanda-t-elle à haute voix.

-Si... Il travaille avec Sacha, à ce que j'ai compris, complétai-je.

-Non? Il est là aussi?

Camille tourna la tête de droite à gauche tel un radar à la recherche de sa cible, en vain.

-Non, je ne l'ai pas vu, lui confirmai-je.

-Tu ne vas pas le saluer? me demanda-t-elle en pointant la tête subtilement vers Séb.

-Pour lui dire quoi?

-Bonjour! se moqua-t-elle.

-Très drôle, grimaçai-je en réponse.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant