42. A trop boire

190 15 9
                                    

La légèreté était plus compliquée à atteindre quand la pesanteur de nos âmes s'infiltrait dans nos gestes et nos regards. Les mets, qui se succédaient, aussi raffinés que délicieux, perdaient de leurs subtiles saveurs au fur et à mesure que les minutes mourraient. Les rires discrets des tables avoisinantes nous renvoyaient à la mélancolie qui transpirait de nos corps. Comment pouvait-il en être autrement? Nos curs s'étaient réveillés à une tristesse qui semblaient être aussi familière à moi qu'à Sacha. Nos sourires polis à chaque présentation de plats ne parvenaient pas à dissimuler notre difficulté à être dans l'ici et maintenant, tous les deux, l'un avec l'autre. Le temps s'écoulait inexorablement sans que nous puissions le freiner dans sa course.

- Je ne veux pas de ça avec toi.

Sa voix était laconique.

- Je veux tes rires, tes larmes, peu importe...

Mes larmes?

- Mais pas de putain de silence.

Ses yeux me transperçaient en dévastant mes barricades intérieur. Un tsunami émotionnel s'abattit en moi.

- Je veux vivre. Je veux bouffer à m'en rendre malade, rire à m'en péter les zygomatiques et boire à en tomber sous la table!

Mon rire nous sortit de notre torpeur. Ses yeux brillèrent d'une autre lumière.

- Commençons par boire alors! lui intimai-je en prenant la bouteille de vin rouge que notre serveur venait de nous apporter pour accompagner le plats à base de pigeon - Eurk...

Je remplis nos verres à la limite de les faire déborder et nous trinquâmes à ce nouvel élan qui nous animait. Les verres s'accumulant, l'ambiance gagna en légèreté. Nous riions désormais pour un rien. L'attitude trop stricte d'un des clients, le climat tendu entre 2 autres, le visuel étrange d'un des plats, les mimiques de l'autre. Tout devint prétexte à rire. Et Dieu savait que ça faisait de bien de rire à en pleurer. J'essuyais régulièrement le coin de mes yeux où stagnaient des prémices de larmes.

Sacha devenait rayonnant, le sourire aux lèvres. Il passait fréquemment sa main pour remettre ses cheveux en place, me décochait des illades lourdes de sous-entendus lorsqu'il me taquinait et devenait de plus en plus tactile à chaque verre vidé. Quand à moi, je gloussais continuellement quelle qu'était la qualité de ses traits d'humour. Je ne me privais pas pour en rajouter et il ne se privait pas pour rembarrer mes blagues vaseuses.

Nous passions indéniablement un bon moment. Les plats s'enchainaient à un rythme effréné mais pourtant moins vite que les verres que nous descendions. Sacha dut faire un signe au serveur pour qu'il nous apporte une nouvelle bouteille de vin blanc, rouge, rosé, champagne? A ce stade du repas, j'étais incapable d'imprimer ni le goût ni la couleur du liquide que nous ingurgitions. Je me fis d'ailleurs la remarque, lors d'un moment de lucidité, que c'était bien dommage que tous mes sens étaient embourbés dans l'alcool. J'appréciai moins la qualité des plats de ce restaurant que la symbiose que Sacha et moi partagions. Si ce moment ne pouvait jamais prendre fin.

Il ne nous restait plus beaucoup de plats à déguster et c'était tant mieux parce que mon ventre était littéralement plein à craquer. Ajouté à cela l'alcool qui coulait à flot, je craignis que mon estomac ne puisse le supporter encore longtemps. Sacha passa une main dans mes cheveux, dégagea une mèche de mon visage, et me la coinça derrière l'oreille. Il laissa sa main contre ma nuque, le temps de m'embrasser le cou. Un frisson irradia mon corps.

- Faut qu'j'aille fumer une clope, bulbutia-t-il péniblement, l'alcool agissant sr ses capacités d'articulation. J'vais en profiter pour réserver l'hôtel.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant