7. La difficulté d'être gymnaste

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Le cours d'anthropologie devait débuter dans quelques minutes. Je bus les dernières gouttes de café que j'avais précédemment payé à la machine à café, positionnée stratégiquement juste à côté, du nouvel amphi que j'allais bientôt découvrir. Le gobelet plastique vidé, je le jetai dans la poubelle et tirai les portes. En entrant par les portes du haut, j'avais une vue globale de l'auditorium. Il était d'une taille équivalente à celui d'hier, la principale différente différence résidait dans le fait que les étudiants ne remplissaient qu'à peine la moitié, éparpillés dans les rangées. Les plus proches de la table octroyée aux professeurs étaient délaissées, les étudiants leur préférant les rangées plus éloignées. 

J'inspectai la salle, cherchant Camille du regard, non pas pour la rejoindre mais pour m'en éloigner. Bien que j'avais tenté à coup de décongestionnant, d'anticernes de limiter les dégâts, force était de constater que mes yeux restaient bouffis. Je voulais éviter toute question qui aurait attendu une explication censée. Je refusais de devoir mentir ou déformer la réalité encore une fois. Je n'aurais jamais imaginé comme une telle gymnastique était éreintante. Trouver une histoire à raconter cohérente avec les faits tangibles et qui excluait toute demande d'approfondissement. Rien que d'y penser, mon moral s'effondra. Je n'avais qu'une seule idée, me faire discrète jusqu'à ce que ma tête reprenne une allure convenable. 

La nuit dernière avait été compliquée, peuplée de cauchemars et de sueurs nocturnes. J'avais espérée que ces nuits agitées auraient cessé définitivement. Malheureusement, elles avaient réapparu hier soir. Je m'étais réveillée à plusieurs reprises dans un état de conscience altérée oscillant entre rêve et réalité, ne sachant plus ni où ni avec qui je me trouvais. Des gouttes de sueurs roulaient sur mon front, glissait le long de mon cou et le col de ma chemise de nuit s'en trouvait détrempé. Il m'avait fallu quelques minutes pour m'éclaircir les idées. Le manque de repères dans cette nouvelle chambre, que je n'avais pas eu le temps de personnaliser, ne m'y avait pas aidé. Ma main avait exploré maladroitement la table de chevet, nouvellement installée à droite du lit, à la recherche de l'interrupteur de la lampe de chevet, qui était presque tombée. La lumière ainsi allumée m'avait fait serrer les paupières. Mon regard avait eu du mal à accrocher des éléments familiers. Aucun cadre ni aucune affiche n'habillait les murs inéluctablement blancs. Seuls quelques vestiges de cartons encombraient la surface des meubles. Les lieux finalement clairement reconnus, ma respiration jusque là saccadée avait recouvré un rythme normal. 

Je rejoignis une place dans la rangée la plus proche et donc celles qui culminaient tout en haut de l'amphithéâtre. J'avais promené mon regard sur toutes les rangées; il n'y avait aucune trace de Camille. Empreinte d'une certaine inquiétude, je me demandais ce qui pouvait bien expliquer son absence. Était-elle rentrée si tard après être allée boire un verre avec Lionel qu'elle n'était pas parvenue à se lever ce moment? Était-elle si peu investie dans ses études qu'elle n'allait quasiment jamais en cours? Avait-elle eu un accident? Ou était-elle simplement en retard? Finalement, je ne savais pas grand chose de sa vie. La journée d'hier avait été totalement consacrée à la découverte de l'université que nous ne nous étions que peu penchées sur nos vies respectives, ce qui m'avait évidemment arrangé. J'étais plutôt satisfaite de ne pas la croiser ce matin. Quoique, la solitude me pesait de plus en plus et ne me permettait pas de m'extirper de mes ruminations incessantes; la lutte pour les faire taire, bien que vaine, absorbait toute mon énergie. Au moins avec Camille hier, il y avait eu si peu de temps mort que les rares pensées qui émergeaient étaient directement balayées par un rire, une nouvelle personne à qui je devais être présentée, un endroit que je devais absolument voir... Certes, rien n'était effacé, le répit accordé était salvateur. Même  si l'après-coup n'en avait été que plus violent.

Une voix de stentor m'extirpa de mes pensées.

- Bonjour à tous et à toutes! Je suis Madame Charpentier, annonça la professeur qui venait de prendre place derrière le micro. Bienvenus à votre premier cours d'anthropologie.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant