86. Un pied dans la vie

26 1 4
                                    

Camille s'était vite ressaisie en s'essuyant les yeux du revers de la main. Elle avait décrété que cette altercation ne devait pas nous couper l'appétit. J'avais décelé dans sa façon de s'exprimer que ces paroles s'adressaient surtout à moi. J'étais restée pantoise face à la facilité qu'elle avait eu de passer d'une humeur à une autre en une fraction de seconde. Sa versatilité m'avait déstabilisée un instant mais au final l'arrêt de ses larmes m'avait arrangée. Je n'aurais sûrement pas su la réconforter. La prendre dans mes bras? Lui dire que ça passera? Que le temps fera son oeuvre? Que toutes les douleurs finissent par disparaître? Toutes ces conneries auxquelles je ne crois plus...

Camille me demanda juste une seconde et s'échappa dans la salle d'eau attenante. J'entendis un robinet s'ouvrir. Je l'imaginai se rincer le visage pour effacer les stigmates de ses larmes et gagner du temps pour cacher son trouble. Je ne connaissais que trop bien cette manière de faire.

Lorsque Camille réapparut, elle avait repris une certaine contenance. Revigorée, elle ouvrit sèchement un tiroir de son dressing, en extirpa deux manettes noires et sortit de sa chambre. Le bruit d'une porte qui s'ouvrit à la volée et claqua contre la cloison me fit sursauter.

-Oh, fais attention merde!!! T'as pas besoin de les jeter comme ça! enragea Brice avant de refermer la porte tout aussi virulemment.

Au même moment, Camille ressurgit dans l'encadrement de la porte visiblement satisfaite de ces grognements.

- C'est bon, on peut descendre! m'invita-t-elle.

Nous rejoignîmes la salle à manger où son père était déjà attablé. Sa mère s'affairait à poser les plats au centre de la table préférant ignorer le barnum qui venait de se jouer à l'étage. Probablement habitués à ces esclandres, ils ne se donnaient plus la peine de les relever ou s'en fichaient complètement.

- Bonsoir, bredouillai-je espérant que l'accueil paternel fut plus chaleureux.

- Bonsoir, jeune fille.

- Ana, Monsieur, rectifiai-je un peu trop rudement avant de me radoucir. Je m'appelle Ana.

- Charles, enchanté, me répondit-il en m'enjoignant à m'installer.

Camille s'était assise à la droite de son père qui trônait en bout de table, sa femme à sa gauche. Brice déboula dans la pièce d'un pas lourd et tira la chaise en face de moi, aussitôt suivi de Jon. Le repas se déroula sans heurt particulier. Charles s'attachait à entretenir une conversation variée pour ne pas porter attention aux verres que sa femme enchainait alors qu'il n'avait quant à lui pas encore fini le seul verre qu'il s'était servi. Comme des gamins, Jon et Brice ne cessaient de lancer à la tablée des regards amusés. Leurs messes-basses m'irritaient. Le nez dans mon assiette, je me forçai à avaler ce que Camille m'avait servi malgré mon faible appétit. Je n'avais pas eu le choix. Elle s'était emparée de mon assiette et m'avait mise une énorme portion de gratin et deux tranches de rôti de boeuf. En y ajoutant le fromage, le pain et le dessert, j'avais pris en une fois l'équivalent calorique de ces trois derniers jours. Les regards de Brice et Camille m'intimaient de ne pas en laisser une miette. J'obtempérai docilement pour en finir au plus vite. Quand nous sortîmes de table, j'avais des haut-le-cœur d'avoir sollicité si vivement mon estomac rétréci.

Après le repas, nous rejoignîmes sa chambre en silence. Pour éviter que son attention se porta sur moi, je préférai d'emblée orienter la conversation sur elle.

- Camille, tu ne m'as jamais raconté ce qu'il s'était passé avec Lionel?

- C'est de l'histoire ancienne, évinça-t-elle en partant se changer dans la salle de bain, son pyjama dans le creux de son bras.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant