Une nuit et un jour

50. Fin de la trève

Finalement, Sacha n'était pas rentré chez lui et ne m'avait pas sauté dessus lorsque je sortis de la salle de bain. Je l'avais retrouvé à la fenêtre en train de fumer une cigarette et de consulter son téléphone. Il paraissait tracassé. Je m'étais demandée ce qui avait pu changer son humeur en si peu de temps. C'était à peine s'il m'avait lancé un regard lorsque je m'étais assise sur une extrémité du canapé et que j'avais allumé la télé. J'avais relevé mes genoux les serrant contre moi. La douche et la frivolité de nos échanges m'avaient fait du bien et avaient fait redescendre la pression dans ma tête. Et puis, je me sentais plus à l'aise dans mon sweat propre et mon bas de pyjama en coton. Par contre, la gravité des traits de Sacha commençaient sérieusement à me perturber et menaçaient de faire renaître la tension si difficile annihilée.

Après de longues minutes à zapper sans pouvoir me focaliser sur une chaine en particulier, Sacha avait décroché de l'écran de son portable et avait balancé ce dernier sur la table. D'une main délicate, il m'avait fait déplier mes jambes et s'était allongé de tout son long à mes côtés, prenant soin de reposer sa tête sur mes cuisses. Il n'avait plus prononcé un mot depuis. A part pour commenter le programme télé. En fin d'après midi, nous avions vaguement picoré les restes du repas de ce midi sans faim.

Nous attaquions désormais le fameux film du dimanche soir. Pas un grand film certes, mais pas un navet non plus. Sans réellement m'en rendre compte, mes mains avaient effleuré ses cheveux souples et n'ayant pas rencontré de résistance, continuaient à s'y promener. J'observais sa cage thoracique se remplir d'air et s'affaisser au gré de sa respiration. Je devinais les contours de son corps au travers de ses vêtements. Je visualisais sa peau légèrement hâlée, les muscles de son dos s'étirer lorsqu'il enlevait son tee-shirt, des fossettes s'imprimer sur ses joues quand ils pinçait ses lèvres...

-C'est qui ce Guillaume?

Sa voix rauque couvrit le film et m'atteignit en plein coeur. Ma respiration se bloqua. Comment ça, Guillaume? Pourquoi venait-il interrompre ainsi ma rêverie? Qu'est-ce que Guillaume venait faire dans tout ça? Pourquoi les moments d'accalmie ne duraient-ils jamais?

-Du passé, répondis-je sèchement après avoir pris une longue inspiration.

-Ton ex?

Je n'avais nulle envie d'aborder tout ça avec Sacha et encore moins ce soir. Et risquer de réveiller par la même occasion tout le lot des souffrances qui y était intimement attaché? Hors de question.

-C'était à qui la bouche dans laquelle tu as fourré ta... contrai-je.

-Ok, ok, rentre les crocs, répondit-il immobile.

Mince, il ne me disait rien sur lui, sur sa vie, et exigeait d'avoir des réponses sur la mienne. Il voulait que je réponde à ces questions, qu'il réponde aux miennes d'abord! Ma petite répartie allait avorter rapidement cet embryon de discussion et nous reprendrions le film où il en était, c'est-à-dire à la 31ème explosion, au 56ème mort par balle... En d'autres termes, je n'avais que faire du film mais je le préférai sans conteste à l'exploration de mon passé déglingué.

-Louise, dit-il d'une voix un peu trop forte et irritée.

-Quoi?

-Le nom de la fille qui m'a sucé l'autre soir.

Je dégageai immédiatement ma main de sa chevelure. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me réponde sur ce sujet et je ne savais pas comment y réagir. J'avais lancé cette question plus pour détourner la conversation que pour obtenir une réponse. Je m'en fichais complètement. Bon, pour être honnête, je ne m'en fichais pas tant que ça. Je n'avais pas oublié l'épisode où j'avais malencontreusement surpris Sacha en charmante compagnie dans une activité à laquelle je n'aurais jamais dû assister...