78. L'enfer est peuplé de vieux démons

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Voilà, c'était dit...

Et maintenant ?...

Un silence... qui s'éternisait... 

J'avais pensé que le plus dur aurait été de révéler à Sacha l'horreur de cette nuit. Mais le plus dur, ce fut le moment d'après. La pesanteur des minutes qui s'égrainèrent sans qu'aucun mot ne fut échangé. Ces longues minutes dont je comptais les secondes, ces secondes interminables pendant lesquelles je regardais la larme de Sacha glisser sur sa joue et mourir dans son cou, sans oser la sécher. Un silence si pesant que je regrettais aussitôt l'élan qui m'avait poussée à lui en parler. 

Je tremblais de froid et ne supportais plus le contact de ses mains sur mes genoux, son regard désamparé posé sur moi. Je n'avais qu'une envie, rentrer chez moi. Partir et oublier que je lui avais confié ma plus grande blessure, ma plus terrible honte. 

Que dire de plus? Qu'y avait-il à ajouter?

Je le remerciai intérieurement de ne pas me questionner sur ce qui s'était passé cette nuit, de ne pas me torturer avec des détails qui n'avaient aucun sens, qui ne changeraient rien au cauchemar que je vivais depuis et qui ne l'aideraient pas à comprendre. Il n'y avait rien à comprendre.

Je voyais bien qu'il était aussi perdu que moi, qu'il ne savait pas comment rompre ce silence tenace sans être maladroit. C'était à moi de nous sortir de là. 

-Rien de mieux pour plomber une soirée... ironisai-je tant bien que mal en empruntant un ton qui se voulut détaché, comme pour effacer la souffrance des mots prononcés.

Sacha ne répondit rien. C'était pire que tout. J'avais l'impression que ma tête allait exploser. Il continuait à se murer dans ses pensées, le regard vide.   

Joue le jeu avec moi. S'il te plait, Sacha, fais comme si je n'en souffrais pas autant.

-Ouais putain, tu mets la barre haute! souffla-t-il lourdement. Je... Enfin, merde, c'est chaud quand même. C'est clair que c'est difficile...

Il se redressa péniblement sur ses jambes, ses rotules craquèrent. 

-... de se relever après, déclara-t-il en grimaçant.

Je souris.

Il me tendit la main pour que je puisse me mettre debout à mon tour. Ce fichu plâtre à la main droite rendait tout plus compliqué.   

-Pas facile d'enchainer après ça... admis-je mal à l'aise.

-Ouais...

Sacha me décocha son sourire en coin, qui me faisait fondre à chaque fois. Avec ses pouces, il écarta les mèches collées sur mon visage et essuya les vestiges de mes larmes du revers de sa main.

-Merci de me l'avoir dit, reprit-il plus sérieusement. Je comprends mieux certains trucs... Ana... T'as dû en baver sévère...

-J'ai pas besoin de ta pitié! lui rétorquai-je sèchement en détachant ses mains de mon visage.

Sacha se désola de ma réaction. Je le vis prendre sur lui en se pinçant les lèvres puis expirer lentement.

-Ça tombe bien, je n'en ai pas à te donner, répliqua-t-il. Seulement, ça me tue d'imaginer...

Il s'interrompit incapable de poursuivre. Son visage se crispa, ses traits se durcirent. La douceur de son expression se transforma en rage réprimée.

-Putain, quel genre d'ordures peut faire ça? s'insurgea-t-il en serrant les poings si fort que ses veines gonflèrent dangereusement.

Sa respiration se fit plus bruyante, les veines de son cou se dilatèrent. Qu'est-ce que j'avais fait? La violence de cette nuit était en train de le contaminer. Je regrettai aussitôt de lui imposer... ça.

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant