85. Les quatre vérités

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- J'ai pas envie d'aller en soirée, énonçai-je en voyant défiler les rues à travers la vitre de la voiture.

- Ca tombe bien, on va chez moi, répliqua Camille d'un ton neutre.

Je me tournai vers elle, son regard n'avait pas décroché de la route.

- Tu viens passer quelques jours à la maison, décréta-t-elle de but en blanc.

Je soupirai bruyamment en rejetant ma tête en arrière. Je comprenais mieux le sac de voyage qu'elle avait rangé dans le coffre de sa voiture.

Quand j'étais sortie de la salle de bain affublée des fringues qu'elle m'avait passée par la porte, un sweat à capuche noir et un jean slim denim brut, Camille se tenait près de la porte mes boots dans une main et mon grand sac noir à ses pieds. Pourquoi ce sac? m'étais-je étonnée. Camille avait intercepté mon regard mais était restée mutique. Sa détermination m'avait découragée de lui poser cette question.

- Et n'essaie pas de me faire changer d'avis, tu n'as aucune chance! certifia-t-elle en tapotant sur le volant. T'as perdu combien de kilos?

Aucune idée. La balance était loin d'être une de mes préoccupations du moment. Je haussai les épaules.

- T'es cadavérique! affirma-t-elle sans ménagement.

Ses paroles me frappèrent en plein coeur. Sa description convenait parfaitement à mon état d'esprit actuel. Un cadavre dans un cercueil.

- Je t'avais amené un plat de lasagnes, m'informa-t-elle en pointant du doigt sa besace en cuir posée à mes pieds. Mais ça va être loin d'être suffisant. Je vais te remplumer, moi. Que tu le veuilles ou non! J'vais te gaver comme une oie jusqu'à ce que tu reprennes forme humaine!

C'était peine perdue. Pourquoi se donnait-elle pour mission de me sauver? Qu'est-ce qui l'obligeait à s'occuper de moi? Nous ne nous connaissions seulement que depuis quelques mois et nous n'avions pas partager suffisamment pour nous qualifier d'amies. Alors, pourquoi cet acharnement? Je ne comprenais pas. Pourquoi n'avait-elle pas passer son chemin?

- Bon, tu vas voir, ma famille est du genre... spéciale, me confia-t-elle énigmatique lorsque nous pénétrâmes dans l'allée de leur propriété. Ma mère tire la gueule à longueur de journée et mon père s'en fout royalement, trop occupé avec sa...

Elle balaya ce sujet d'un geste de la main.

- Ca, c'est une autre histoire, conclut-elle en coupant le moteur.

Je ne bougeai pas, observant l'immense bâtisse qui s'érigeait devant moi, et me demandant ce que je faisais là. Camille contourna le véhicule et vint m'ouvrir la portière.

- Allez, oups, dehors! m'enjoignit-elle.

Nous récupérâmes nos sacs et nous nous dirigeâmes vers l'imposante demeure d'un autre âge. Je suivais Camille à bonne distance lorsqu'elle franchit le seuil. L'intérieur était aussi impressionnant que l'extérieur. Le hall d'entrée, au fond duquel se trouvait une porte-fenêtre donnant sur le jardin, desservait à sa droite, un bureau et visiblement une cuisine, et à gauche une grande salle de séjour, dont des bribes de conversation nous parvenaient. J'avais à peine fait quelques pas sur les carreaux de ciment qu'une femme grande, mince, tirée à quatre épingles fit irruption dans le hall. Dans sa veste vert d'eau ouverte sur une blouse blanche, assortie d'un pantalon rose poudré ajusté, ses cheveux roux, coiffés en un carré mi-long déstructuré, elle aurait pu être une magnifique femme si son expression n'avait pas été aussi dure.

- Camille, enfin! l'accueilla-t-elle cinglante en sortant de la cuisine une bouteille de vin blanc dans les mains. Nous t'attendions pour diner. Encore une fois...

Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant