Une nuit et un jour

43. Une lueur

Je n'avais que peu de souvenirs du trajet qui nous amena jusqu'à la chambre. Une dernière montée d'alcool avait vraisemblablement brouillé mes pensées. La mémorisation des événements était incertaine. Je revoyais des images éparses de mes jambes qui vacillaient, de Sacha qui me soutenait en me tenant de son bras passé sous mes épaules. Des souvenirs de mes gloussements incontrôlables lorsque je m'affalai au sol et que Sacha me releva, cette fois-ci en m'empoignant plus fermement.

Nous étions désormais dans la chambre de l'hôtel. Je ne pouvais pas dire à quoi ressemblait la façade du bâtiment, les couloirs, ou encore la chambre. Aucune image ne s'était incrustée sur mes rétines. Sacha m'avait assise sur le bord du lit et j'étais tombée immédiatement en arrière lorsque ses mains m'avaient relâchée. Mes yeux s'étaient vissés sur le blanc immaculé du plafond. Ma tête entière tournait, mon cerveau s'embrumait. Cette anesthésie de mon corps était douce et apaisante. Mes sens et mon esprit s'endormaient. Tout mon être se délectait de cette accalmie. Jusqu'à ce que le visage de Sacha apparaisse dans mon champ de vision.

- Ca va? me demanda-t-il les yeux pétillants.

- Ca va, répondis-je d'un ton neutre.

J'en avais presque oublié sa présence. Sacha était debout, penché au-dessus de moi. Ses bras placés à côté de mes épaules maintenaient son visage au-dessus du mien et je sentais son souffle chaud caresser mon visage. Son corps m'entourait en me touchant à peine, le désir qui semblait le parcourir me fit tressaillir. Sa poitrine se soulevait et son souffle devenait court. Ma tête s'étourdit.

Qu'allait-il se passer maintenant? Nous étions seuls dans cette chambre d'hôtel. Ce cadre devint soudainement menaçant. Je ne pus endiguer la panique qui s'empara de moi. Mon corps serait incapable de réagir rapidement, l'activité de mes neurones trop ralentie par l'alcool. Comment ferais-je pour déguerpir si... Si ses mains se fassent plus pressantes, s'il me délestait de mes vêtements, s'il commençait à toucher ce corps douloureux? Me laisser étreindre par ses bras me demandait encore des efforts considérables pour ne pas me laisser submerger par le souvenir de l'horrible nuit, où tout avait volé en éclats, par les sensations violentes qui se juxtaposaient au moment présent et se jouaient de moi. Alors s'il voulait plus... J'étais incapable de plus...

Pourtant, comment pourrait-il interpréter autrement les signaux que j'étais en train de lui envoyer? J'étais à disposition allongée sous lui. Comment pourrait-il ne pas prendre ça comme une invitation à s'emparer de moi? Bon sang, à quoi m'attendais-je? Mais qu'est-ce qui ne tournait pas rond avec moi? Les événements passés ne m'avaient pas servis de leçon. Merde, j'étais dans une chambre d'hôtel, complètement bourrée, offerte sur un lit. Dès lors, je n'osais plus initier le moindre mouvement de crainte de l'encourager vers une issue irréversible. Je restais dans l'expectative nerveuse de ses mouvements. J'aurais voulu ne plus être là, ne plus être avec lui, ne plus être tout court.

Pour ne pas succomber aux angoisses qui me colonisaient, je tentai de me rassurer, de me dire que Sacha n'étaient pas comme ça. Mais qu'est-ce que j'en savais finalement? Je m'efforçai de me rattacher à la lueur des yeux de Sacha, cette lueur qui m'avit mise en confiance et qui m'avait dit qu'à ses côtés je n'avais rien à craindre de lui. Je cherchai cette bienveillance que j'avais à maintes reprises observée dans son regard. Je mettais toutes mes forces pour me raisonner.

Toujours au-dessus de moi, Sacha se courba un peu plus et s'approcha de mon visage. Son souffle chaud qui parcourut mon cou et les effluves d'alcool de son haleine qui m'enveloppèrent me ramenèrent sur le parking de la discothèque. L'effroi me déconnecta de la réalité. Je revus alors cette silhouette monstrueuse s'agiter violemment sur mon corps tétanisé. J'en ressentis la froideur des mains qui s'étaient plaquées sur ma peau et ma bouche, les odeurs pestilentielles qui en émanaient, les sons des gravillons qui crissaient sous mon corps et transperçaient ma peau.