2- Puis vint l'effroi

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- Lys -

Il n'avance pas, ne remue pas. Inutile de plisser les yeux pour savoir que ce qu'il tient au bout de son bras est un pistolet.

Je fais l'aller-retour entre lui et le volant, hésitant à démarrer d'un coup sec pour me sortir de cette situation. Malheureusement, il semble comprendre.

- Mauvaise idée, tu seras morte avant même de franchir les mètres qui nous séparent.

Je le crois. Je viens moi-même de faire le calcul. J'appuie sur l'accélérateur et il presse la détente. Inutile qu'il reste immobile jusqu'au bout. Il s'écarte le temps que la balle ne traverse le parebrise, bien plus rapidement si j'avance dans sa direction, et deux secondes plus tard, on pourra appeler mon corps cadavre.

Je ne doute pas qu'il sache viser. En revanche, je doute de ma capacité à l'éviter.

JE. SUIS. MORTE.

- Eteins le moteur, ordonne-t-il sans remuer.

J'hésite encore.

La réaction de chaque espèce animale diffère face au danger imminent. Certains fuient, d'autres affrontent. L'être humain fait sans aucun doute partie de ceux qui font le mort. Je suis paralysée.

- T'attends une invitation peut-être ?

Alors, il bouge pour la première fois depuis plusieurs secondes. Son bras se baisse. Mais ce n'est pas pour m'épargner.

Un bruit assourdissant, comme un feu d'artifice, rententit. Mes mains viennent couvrir mes oreilles d'un mouvement réflexe. Je réalise ensuite qu'il a tiré dans l'un de mes pneus.

- Eteins le moteur, répète-t-il d'une voix grave.

De peur que ma tête soit sa prochaine cible, j'obéis en tremblant. Il s'avance.

- Sors de la voiture.

Il va me tuer comme un mouton qu'on abat si je sors d'ici. Cette voiture me paraît soudainement être ma seule chance de survie face à cet accès de violence. Je refuse de sortir d'ici.

Cela me donne le courage nécessaire pour articuler.

- Je ne sais rien, je vous le jure. Laissez-moi partir. Je ne dirais rien.

Il rit. C'est pourtant un rire que je me serai passée d'entendre. Tout est menaçant chez lui.

- Comment tu pourrais dire quelque chose si tu sais rien ?

Il m'a eu.

- J-justement. Vous pouvez être sûr que je n'aurai rien à dire.

- Y'a un moyen plus fiable de m'en assurer, déclare-t-il. Sors de la voiture.

Je peux sentir mon sang se glacer. Il y a d'abord mes doigts qui refroidissent, puis il arrête de circuler et cela remonte doucement jusqu'à mon cœur.

Hors de question que je sorte de là.

Il lève les yeux au ciel avec agacement.

Avant même que je ne m'en rende compte, il a déjà fait le tour de la voiture et se trouve du côté passager. Son arme est toujours pointée dans ma direction. De toute manière, j'ai l'impression qu'il avance plus vite que mes yeux ne peuvent le suivre.

Après un instant bien trop calme, il donne un coup sec dans la vitre avec le dos de son arme. Le fracas me fait pousser un hurlement de surprise. Le verre se brise et s'étale partout entre le goudron et l'extrémité du siège.

Il passe une main à l'intérieur puis ouvre la portière. Il finit par s'asseoir dans la voiture en prennant soin de refermer la porte derrière lui.

Je reste paralysée par l'effroi.

- Si c'est ce que tu veux, poupée. Ça me dérange pas de rester là aussi, souffle-t-il en braquant son arme sur ma tempe avec indifférence.

La proximité dévoile des détails que je n'avais pas remarqué avant.

Je n'ai jamais croisé des yeux qui m'aient autant effrayé. Les siens sont noirs, les sourcils naturellement froncés et les traits sévères. Sa légère barbe intensifie son côté masculin.

La main qui tient l'arme à quelques centimètres de ma tête est ornée de deux bagues. Elles ne sont pas belles, elles ne sont pas là pour ça. L'une d'elle est composée de légers picots bien taillés. L'autre est un crâne volumineux, parfaite pour creuser dans la chair de la personne qu'elle rencontre.

Chaque détail transforme ce corps seduisant en une véritable machine à tuer. Je transpire.

- Depuis quand t'étais planquée ? finit-il par demander.

- J-je n'étais pas planquée. Je devais vérifier un container pour mon travail et je passais par là quand j'ai fait tomber mes clés.

Il rit, signifiant qu'il me trouve ridicule. Je me trouve ridicule aussi.

- Il y a une liste. Juste-

Je m'apprête à me pencher quand il grogne. Le canon de l'arme touche ma peau.

Oh mon Dieu. C'est froid.

Et dans une seconde, je ne ressentirai probablement plus rien.

Je lui jette un œil et il me fait signe de ne pas bouger. Il ramasse le document que j'ai lancé dans la panique et parcourt rapidement les lignes du regard. Le pistolet est toujours contre ma tempe. Je voudrais juste qu'il le baisse merde, je ne bougerai pas.

- Ça me dit pas ce que t'as pu entendre, soupire-t-il avec insatisfaction en jetant à nouveau le document à ses pieds.

- Que voulez-vous ?

Le canon se presse un peu plus sur ma chair. Il est si près que je peux deviner sa forme rien qu'à son toucher. Je sentirai certainement la balle en sortir avant de percer mon crâne.

Un clic résonne et j'arrête subitement de respirer. Son index est en train de presser la détente.

- Je peux vous aider ! dis-je le plus rapidement et intelligiblement que je puisse.

Alors, je sais que son doigt fait marche arrière. Mais l'arme est toujours sur moi.

- Je peux vous aider à vous débarrasser des meubles.

- Continue, répond-t-il.

- Je suis opératrice de ventes volontaires.

Son arme avance un peu plus en poussant ma tête sur le côté.

- En quoi ça peut m'intéresser ça putain ?

- Ç-ça veut dire que je suis commissaire-priseur pour des particuliers. J'organise des enchères. Je peux vendre tous les biens que contient votre container.

- Et moi qui croyais que t'avais rien entendu. Tu vois quand tu veux ?

Est-ce que je viens de signer mon arrêt de mort ?

Peu importe j'étais déjà condamnée.

Je ferme les yeux en attendant le coup de feu. Néanmoins, il ne vient pas. Et puis après exactement huit secondes, car je les ai senties s'écouler comme les plus longues de toute mon existence, il baisse son arme.

J'entends un bruit. Ce n'est pas celui d'un pistolet. Je crois bien que c'est le bruit que ma portière fait lorsqu'on l'ouvre.

Quand je retrouve le courage d'ouvrir les yeux, je le vois avec une jambe en dehors de la voiture, rangeant l'arme dans son pantalon en formant une bosse visible à travers son blazer.

Il m'adresse une dernière fois la parole. Cinq misérables mots avant de disparaître à nouveau.

- Tu parles, t'es morte.

Le goût du crimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant