39- L'avidité

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- Esteban -

Debout au pied de l'immense escalier qui introduit l'hôtel de vente, j'attends pendant que l'homme chargé de faire la garde s'empresse de descendre les marches.

Au bout d'une seconde à peine, il s'arrête devant moi. Lorsque mes yeux se posent sur lui, il se redresse le dos droit et les mains en repos.

- Alors ? dis-je pour l'autoriser à parler.

- Elle arrive à 7h30, les autres à 8h en général, excepté l'équipe de ménage qui vient aux alentours de 6h15. Les ventes sont toujours organisées de la même manière...

J'écoute son rapport d'une oreille, analysant le lieu autour de moi en même temps.

J'ai l'habitude, j'occulte toutes les banalités et seules les infos importantes retiennent mon attention. Quand on nous rapporte autant de faits pour chacune des affaires que l'on doit régler, on apprend vite à faire le tri.

Ça va faire une semaine que Lys a repris la direction ici. Pour le moment, rien à signaler. L'argent est blanchi, les ventes continuent d'augmenter et l'alliance avec les Monténégrins est plus favorable que je l'aurai cru.

Tant que chacun fait son job, le système fonctionne.

- Donne-moi des détails sur elle.

Il m'adresse un regard perplexe avant de reprendre.

- Comme je l'ai dit, elle arrive à 7h30. Les premiers jours, elle partait très tard, ajoute-t-il. Dernièrement, elle sort autour de 18h et prend sa voiture. Elle reste toujours dans son bureau pendant la journée, excepté les quelques fois où elle descend en salle de réunion. Elle communique avec la secrétaire via la ligne téléphonique.

C'est pas ce que je voulais entendre. J'aimerai préciser ma question, lui demander comment elle va, elle. Mais, au-delà de la nature étrange de la question, je sais qu'il saura pas me répondre. Il a été formé à repérer les dangers, pas à être un foutu psy pour les gens en deuil.

N'importe qui aurait dit que l'emmener voir le russe était une mauvaise idée. Mais elle était prise dans un cercle de vicieux de haine et de vengeance et il y avait qu'une vision horrible qui aurait pu la réveiller.

C'est pas une tueuse, et je suis pas là pour me salir les mains à sa place afin qu'elle puisse ensuite évacuer sa culpabilité en me haïssant à mon tour.

Ou peut-être que je refuse qu'elle me haïsse.

En tout cas, j'ai pas laissé le russe en vie malgré tout. C'était personnel.

Je déteste qu'on me double. Ils se sont sérieusement permis de tirer sur un homme dont j'ai statué la liberté, alors même que j'étais dans le véhicule ?

Je vois rouge. Cette histoire m'enrage encore.

- Il y a aussi cet homme, finit-il par dire.

Le genre de mots qui retient mon attention.

- Un homme ?

- Un blanc, 30 ans, cheveux châtains, yeux verts. Il a un style classique-rock, le genre à boire des bières. Il est venu deux fois ici, mercredi à midi et aujourd'hui à dix-huit heures. Il attend toujours dans le hall. Alors elle descend pour le rejoindre et ils partent ensemble en prenant sa voiture.

Mes dents se serrent à en grincer. Cette description me revient familièrement.

J'oublie jamais un visage, c'est essentiel pour rester en vie. Alors pourquoi est-ce que j'arrive pas à mettre une image sur cette description bordel ?

Le goût du crimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant