46- Le danger

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- Lys -

Un silence mort s'abat autour de moi. Je ne remue pas, les yeux figés sur l'immense trou qui orne maintenant le bois de la porte.

La lumière automatique du couloir de l'étage s'éteint et mon cœur relance. Je tends un bras pour allumer le plafonnier du salon.

Il n'y a personne, de toute évidence ceux qui sont venus ici ont déjà récupéré ce qu'ils désiraient.

Je ferme les rideaux épais d'un coup sec et attrape mon téléphone. Il n'y a qu'une personne que je puisse appeler maintenant.

Il décroche à la première sonnerie.

- E-Esteban.

Le tremblement de ma voix me prend de court, m'empêchant de continuer. Une seconde de silence s'écoule, au point où je me demande s'il est vraiment de l'autre côté à écouter.

Lorsqu'il rompt le silence, je comprends qu'il me laissait juste le temps de parler avant de constater que j'en étais incapable.

- Où t'es ? demande-t-il brusquement. Carlo m'a dit qu'il t'a pas déposé en bas de l'immeuble.

- Je suis chez moi...

- Alors qu'est-ce qui cloche bordel, Lys ?

- C-c'est l'appartement. Il est ... Je ne comprends pas comment ça a pu arriver...

J'entends une porte claquer du côté d'Esteban, puis un bruit de moteur.

- Je comprends rien, dis-moi ce que tu vois, lâche-t-il avec impatience.

Mes yeux scannent l'espace autour à la recherche d'éléments à lui répéter bêtement.

- Les pièces sont saccagées, les meubles brisés, tout est renversé. Et il y a aussi... L'argent n'est plus là, Esteban... Quelqu'un est venu.

- T'as ton arme avec toi ?

- Oui, elle est chargée.

Il expire bruyamment.

- Sors dans le couloir et reste devant la porte de chez toi, si tu vois quelqu'un bouger ou approcher, tu le buttes.

Ses derniers mots résonnent comme un avertissement. Je ne réponds pas.

- T'as entendu Lys ?

- Mais je ne-

- Tu le tues, compris ? Je suis en route, raccroche pas.

Mon cerveau m'envoie une seconde bouffée d'adrénaline et ma respiration accélère. J'exécute ses instructions à contrecœur.

Il a raison, s'il reste encore quelqu'un ici, il n'hésitera pas à tirer de son côté.

Je sors dans le hall en activant à nouveau l'éclairage automatique. Je m'appuie sur le mur d'en face et fixe l'intérieur de mon appartement sans m'en détourner. La main autour de mon pistolet commence doucement à trembler.

Mes pensées se mettent à divaguer, projetant les pires scénarios, quand la voix d'Esteban dans le téléphone me rappelle à la réalité.

- Lys ?

- Je suis toujours là.

- Du mouvement ?

- Non...

Soudain, un bruit dans la cage d'escalier me fait sursauter.

Je fixe la poignée qui remue, à moins d'une dizaine de mètres de moi. J'enlève le cran de sécurité. Lorsqu'elle s'ouvre sur Esteban, je pousse un long soupir de soulagement.

Il coupe son téléphone et approche discrètement, me faisant signe de ne pas remuer. Néanmoins, lorsqu'il entre à l'intérieur, son arme à la main, je le suis.

- Tu fous quoi ?

- Je ne resterai pas dehors.

Il frotte sa barbe avec agacement avant de me signifier de rester derrière lui pour le couvrir. Il refait chaque pièce de l'appartement, jetant un œil dans des zones auxquelles je n'aurais même pas songées.

Il termine par ranger son arme dans son dos en rejoignant le salon.

- C'est peut-être juste un cambriolage classique...

- Ils ont touché à rien d'autre que l'argent ? demande-t-il.

Je regarde l'écran plat toujours suspendu sur le mur à ma gauche. Un objet trop compliqué à emporter ? Ce n'est pas comme s'ils manquaient de temps vu que j'étais à l'autre bout du continent...

J'hausse les épaules.

- Il faudrait que je vérifie si quelque chose manque mais avec tout ce bazar... Quitte à me surveiller, tu aurais dû mettre une caméra dans mon appartement, ça aurait au moins eu le mérite d'être utile.

- Quoi ?

- Je t'en prie, je sais pour la Mercedes !

Il m'adresse un regard, un qui signifie qu'il a été pris au fait.

- C'est pour ça que la voiture était pas chez toi, soupire-t-il.

- Deux traceurs, sérieusement... C'était vraiment nécessaire ?

Les deux objets toujours dans ma main, je les lance sur la table près de nous. Ses sourcils se froncent en assombrissant son visage.

- T'as dit deux ?

Il se penche et en saisit un pour l'examiner. Son corps semble se transformer. Je ne lui ai vu une expression aussi menaçante que lorsqu'il a tué Samuel Morales de sang-froid.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Putain, merde, jure-t-il en balançant le boîtier avec tant de force qu'il ricoche à l'autre bout de la pièce.

- Qu'as-tu compris ?

Sans répondre, il s'avance pour sortir de l'appartement d'un pas décidé. Je regarde le traceur minuscule rouler sur le sol avant de trottiner pour le rattraper.

- Le deuxième n'est pas de toi ? Esteban, qu'est-ce que tu as compris ?!

Il se tourne brusquement en m'arrêtant net.

- Vas au manoir.

- Je refuse, où vas-tu ?

- Lys, gronde-t-il. Tu dormiras là-bas. Ne fais pas de détour, ne t'arrête pas en route.

Je reste à le regarder mais, cette fois, il semble déterminé à m'écarter. Je commence à me dire que c'est pire que ce que je pensais.

- Est-ce que je risque quelque chose ? Comme...

Je songe à ce jour-là. A moi qui étais au volant. Au bruit des balles qui transperçaient la vitre.

Et si je mourrais de la même manière ?

- Non, mais rentre au manoir maintenant, dit-il en attrapant ma main droite pour me confier les clés.

Ses paroles sont sèches. J'ignore s'il dit cela pour me rassurer ou s'il s'agit de la vérité.

Il s'engage aussitôt dans le couloir de l'étage et je m'active à remuer pour le suivre. Devant l'immeuble, j'aperçois sa Maserati stationnée en double file. Il s'arrête près de la portière et attend que je rejoigne ma voiture pour faire de même.

Il démarre avec moi. Je m'engage dans la rue juste devant lui avant de sortir de la résidence.

Mes yeux font l'aller-retour sur le rétroviseur central, surveillant ses phares derrière moi. Néanmoins, à l'intersection suivante, il disparaît.

Je me retrouve à nouveau seule et emprunte la route la plus rapide jusqu'à chez lui. Chaque feu rouge augmente la pression dans mes artères, avant qu'elle ne redescende lorsque je mets un pied sur l'accélérateur.

Il surveillera certainement mon arrivée, comme toutes les fois précédentes.

Le goût du crimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant