17- La cruauté

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– Esteban –

Malgré le dossier de la chaise dressé contre mon torse, Lys est assez proche pour que je l'atteigne en m'inclinant. De toute façon, je l'aurais brisé si ça avait été nécessaire.

Soudain, un bruit m'éveille.

Je lève les yeux et croise ses pupilles dilatées qui me fixent. En apercevant le billet déchiré en deux parts égales dans chacune de ses mains, je réalise la force avec laquelle je les entoure encore.

Il faut que je m'éloigne.

Je relâche ma prise et elle soupire en réaction, sans que je sache si c'est du soulagement ou de la déception. Je me lève pour m'écarter.

La soirée est loin d'être terminée.

En me voyant prêt à quitter le bureau, Lys regarde le billet entre ses mains. Elle hésite une seconde puis finit par le poser sur la table. Je sors tandis qu'elle trottine pour me rattraper.

- Où vas-tu ? demande-t-elle.

- Faut qu'on règle le problème des faux billets.

- Comment ça ?

- Si ce mec t'a fait le coup, c'est qu'il a estimé que tu méritais pas son respect. Va falloir lui montrer que ses actes ont des conséquences ou ça se répandra comme une trainée de poudre.

Elle se met soudainement à ralentir au milieu de la salle.

- Que comptes-tu faire ?

Un rire sarcastique m'échappe alors que je me tourne dans sa direction.

- Qu'est-ce qu'on va faire. On est une équipe maintenant, poupée.

A présent, elle se fige complètement.

- Je ne veux pas venir, déclare-t-elle.

- C'est ça le travail, on est obligé de faire des choses qui nous plaisent pas toujours.

- Hors de question que je tue quelqu'un.

Je la regarde avec exaspération mais c'est pas suffisant pour la faire remuer. J'approche et saisis son bras. Elle résiste mais termine emportée par mon mouvement.

Alors que je l'imagine continuer d'avancer, elle s'arrête face à moi pour me tenir tête.

- Je ne te suivrais pas. Fais ce que tu veux mais je t'ai déjà dit que je n'étais pas une meurtrière.

- C'est pas comme ça que ça marche poupée. C'est à toi qu'il a manqué de respect donc c'est à toi d'asseoir ton autorité.

- Je me fiche de vos règles stupides !

Elle me fusille du regard. Je prends une lourde inspiration pour attiser ma patience avant de passer un bras autour de sa taille et la soulever. Elle pousse un cri en remuant dans tous les sens.

- Que fais-tu, repose-moi tout de suite !!

- Arrête de te débattre, c'est inutile.

Je stabilise ses mouvements avec ma seconde main avant de la passer au-dessus de mon épaule droite. Elle est aussi légère qu'un sac.

En jetant un œil vers elle, je constate qu'elle s'est arrêtée de bouger pour regarder autour. Aucune des personnes présentes ne porte attention à ses mouvements et je souhaite pas pour elle qu'ils le fassent, autrement ils viendraient certainement m'aider.

J'avance en direction du couloir et elle se remet à hurler.

- Esteban lâche-moi !! Je ne suis pas une poupée !

- Arrête de t'agiter.

- Hors de question ! Lâche-moi !

J'atteins la porte de l'armurerie quand elle me donne un violent coup de genou dans l'estomac. Bien qu'il soit amorti par mes abdos, la douleur se répand dans tous le reste de mes organes.

- Bordel, Lys !

Ma voix résonne encore dans la pièce alors qu'elle se fige instantanément. Un homme entre et s'apprête à approcher quand je lui fais signe de repartir. Mon hurlement a porté plus loin que je pensais.

J'attrape ses chevilles et les coince avec mon bras en neutralisant ses mouvements. Je me penche pour saisir une arme plus silencieuse que celle actuellement sur moi et sors immédiatement.

- Ne m'oblige pas à faire ça, supplie-t-elle.

Cette fois, elle est plus terrifiée qu'en colère. Je me mords la langue pour garder une voix sévère. C'est comme ça, c'est une étape par laquelle on est obligé de passer dans ce monde et le plus tôt sera le mieux en ce qui la concerne.

Il y a bien pire que des faux billets à redouter quand on impose pas le respect.

- C'est nécessaire.

- Pourquoi ? demande-t-elle.

- T'es pas stupide à ce point Mariposa.

Elle finit par se taire et je sors de l'entrepôt. J'ouvre la portière conducteur de la Maserati, la fais passer sur son siège avant de m'asseoir et verrouiller les portes pour m'assurer qu'elle tente rien.

Elle croise les bras et s'enfonce dans son siège sans boucler sa ceinture. Soit elle me fait confiance soit elle préfère mourir dans un accident plutôt que tuer quelqu'un. Dans les circonstances actuelles, je mise sur la seconde.

Pour une fois, un silence mort règne dans la voiture pendant l'intégralité du trajet. L'expression sur le visage de Lys s'assombrit à mesure que j'approche de la demeure de Samuel Morales. Une modeste maison dans laquelle il vit seul, toujours au centre de son quartier, et qu'il a pu se payer à force de commissions sur les ventes au détail.

Quand j'arrête le moteur, Lys me lance un regard semblable à celui d'une biche devant des feux de voiture. Je scanne l'extérieur à la recherche du moindre signal d'alarme.

Tout semble être parfaitement habituel.

- Terminus, poupée.

Je sors de la voiture mais elle n'est pas encline à faire de même. Je fais le tour du capot et ouvre sa portière. Elle place ses mains de part et d'autre de ses cuisses en serrant les doigts autour de l'assise pour s'y ancrer un peu plus.

- Je refuse de faire ça.

- Tu viendras, à toi de décider de quelle manière.

Sa bouche fait la moue pendant que ses yeux me foudroient. Elle termine par relâcher son siège et se lever. Après avoir masqué l'arme à mon dos, j'avance dans l'allée en analysant les lieux.

La lumière qui se reflète sur le mur adjacent à la maison me laisse conclure qu'une des pièces du haut est allumée. A cette heure, le quartier est calme, il y a que le bruit faible des talons derrière moi qui m'assure que Lys continue d'avancer. Ils résonnent moins forts que tout l'heure, elle fait l'effort de s'appuyer sur la pointe de ses chaussures.

Je contourne le jardin et atteins la porte arrière. Samuel la verrouille jamais, il sait que ça n'arrête pas les vrais criminels. Et, vu qu'il a ni assurance ni intention de communiquer un jour avec la police, il préfère s'éviter d'avoir à réparer une fenêtre ou une serrure.

Enfin c'est ce qu'il dit. Je trouve cette idée stupide et pleine d'arrogance, il pense qu'il en impose suffisamment dans le quartier pour que personne n'ose jamais quelque chose à son égard.

Lys s'arrête derrière moi et attend. Elle me dévisage avec surprise quand la porte s'ouvre sans le moindre effort.

J'effectue le premier pas à l'intérieur et m'assure qu'il y ait pas le moindre danger avant de faire un mouvement de tête pour lui intimer de me suivre. Elle entre avec hésitation.

On arrive au pied de l'escalier quand une silhouette apparaît en haut des marches. Samuel plisse les yeux puis se fige sur place en déchiffrant mon visage.

Le goût du crimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant