Le goût du crime

10- Le regret

- Lys -

Esteban n'avait pas tort sur un point. La vente des meubles italiens m'a forgé une réputation qui me précède dans l'entreprise.

Résultat : en plus d'une nouvelle machine à café qui m'est presque dédicacée, tout le personnel est au petit soin avec moi. Et, s'il y a bien un avantage à récupérer des dossiers bidons, c'est que mes journées se terminent bien plus tôt.

Terminées les heures supp' qui ne seront jamais payées, j'ai officiellement pris la décision qu'Edouard pouvait aller se faire foutre.

Un mot qui parvient à mes oreilles arrête net mes fantasmes de sédentarité. Il provenait de la radio de la voiture. Mon pouce presse le bouton pour monter le volume.

- Vous voulez dire que la mafia existe aussi en France ? demande une voix féminine. Moi qui nous pensais loin de tout ça ! En fin de compte, j'ai autant de chance de me faire enlever pendant 365 jours qu'une polonaise en Sicile ?

L'expert force un rire à la blague un tantinet limite de la journaliste.

- Eh bien, les groupes criminels vont diverger selon la localisation. Par exemple, ici, nous relevons essentiellement la mafia Russe pour les crimes de sang, les Balkans pour les armes et les turcs pour la drogue.

- Donc le crime qui a eu lieu près du Sonetta hier pourrait avoir un lien avec tout cela ?

Mes yeux s'écarquillent à l'évocation du restaurant dans lequel je me trouvais la veille. J'augmente encore le son.

- Kahil Bozkurt était un criminel turc notoire. Son influence dans le domaine de la cocaïne et de l'héroïne est reconnue. Lorsqu'une telle mort a lieu dans ce milieu, cela ne peut vouloir dire qu'une chose : une nouvelle puissance est en train d'émerger.

- Par puissance vous voulez dire que... demande la femme sans achever sa phrase.

- Qu'un nouveau groupe est en train d'étendre son pouvoir au point où il dépasse sur celui des autres.

Mes bras se mettent à trembler alors que je lutte pour maintenir une attention minimale sur la route. J'arrive chez moi et stationne la voiture en laissant le moteur tourner.

- Eh bien, eh bien. Evitons d'effrayer mes auditeurs voulez-vous. Dites-nous concrètement quelles conséquences cela aura pour nous ?

- A moins que vous ne soyez amatrice de drogue ou que vous souhaitez vous fournir en armes illégales, vous ne verrez pas la différence. La France a une méthode de lutte contre les organisations criminelles très efficace. Ceux intéressés par le sujet peuvent toujours consulter les rapports publiés par le SIRASCO.

- Je vois. Bon toute cela est déj-

Je coupe le son et retire les clés du contact. Je reste pétrifiée à l'intérieur. Ma volonté de vivre, de toute chose, vient juste de s'envoler.

Dans quoi est-ce que je viens de m'embarquer au juste ?

J'ai l'impression d'avoir enfoncé les deux pieds dans un sable mouvant. Il ne me reste plus qu'à me laisser doucement sombrer sans rien pouvoir faire.

Je secoue la tête avant de m'arracher à mon siège. Me persuader que le dîner d'hier n'est qu'une coïncidence serait me mentir à moi-même. Néanmoins, c'est une chose qui concerne Esteban. Les autorités n'iront jamais penser que j'ai quelque chose à voir là-dedans, n'est-ce pas ?

Après tout, je ne suis qu'une simple commissaire-priseur. Qui a fait des études de droit, avec un père en prison et qui vient de dîner avec la nouvelle puissance émergente... Je suis carrément dans la merde.