Le goût du crime

9- La haine

- Lys -

Lorsque le serveur s'éloigne, je m'attends à ce qu'Esteban retourne sur son téléphone comme il l'a fait durant l'ensemble du trajet. Néanmoins, il croise les bras sur la table. Je me penche pour parler d'une voix basse.

- J'ai peaufiné la proposition que j'avais faite. Je pense que nous devrions-

- On parle pas affaire ici, m'interrompt-il d'un ton catégorique.

Il reste néanmoins à me regarder. Je n'arrive pas à définir ce qu'il pense. Sauf quand ses iris se mettent à fixer ma poitrine de la manière avec laquelle il le fait actuellement. Décidemment, les hommes se ressemblent tous sur un point.

- Alors pourquoi est-on ici ?

- Ce petit rencard te fait pas plaisir Mariposa ? souffle-t-il avec un sarcasme qui redouble ma méfiance.

- Tu n'es même pas capable de retenir mon prénom...

Ma réplique lui arrache un rire sincère.

Je pourrais m'y faire... De le voir rire. Il est bien plus séduisant quand c'est le cas. Sans doute parce qu'il s'agit du seul instant où je ne me sens pas menacée avec lui.

Je réalise soudainement que si je suis capable de voir les invités de ce restaurant, alors eux nous voit également. Si Edouard ou Stéphanie surgissent dans la salle, car ce sont bien les genres à aller dans des lieux pareils, alors ils comprendront. Il ne leur faudra pas bien longtemps pour faire le lien avec la vente miraculeuse chiffrée à un demi-million.

Je me tourne et parcours l'ensemble des visages présents aux alentours. Je n'en reconnais aucun.

- T'as rien à craindre, poupée.

- Rien à craindre ? repris-je en me tournant à nouveau dans sa direction. A cause de toi, je suis devenue le centre de toutes les discussions à l'hôtel de vente. Si j'avais su qu'il s'agissait de meubles de la Renaissance...

- T'aurais fait quoi ?

Je le fusille du regard mais cela ne le fait même pas cligner des yeux.

- D'où viennent-ils d'ailleurs ? Vous les avez volés ?

- Tu me vouvoies à nouveau ?

Nous restons à nous fixer. Son sourire moqueur ne disparaît que lorsqu'il soupire en passant une main sur sa barbe. Ce même geste qu'il fait chaque fois qu'il est exaspéré.

- De quoi tu te plains au juste ? T'es devenue une véritable légende à ton travail. Même ça, t'as su le tourner à ton avantage.

Je ne remue pas d'un millimètre, tentant d'analyser la moindre contraction de ses muscles pour essayer d'en soutirer une information. Je termine par murmurer en plissant des yeux :

- Je suis sûre que c'était des vrais. Je parie qu'ils viennent droit d'Italie.

Il s'adosse à son siège en posant ses bras sur les accoudoirs.

- Tu poses trop de questions. Si c'est comme ça que tu comptes assurer ta survie, c'est une très mauvaise méthode.

J'avale ma salive et l'entends résonner jusque dans mon œsophage. Lui se remet à sourire malicieusement.

- Pourquoi t'es aussi pressée de rentrer dans la partie ? demande-t-il avec un soudain intérêt.

- Je veux juste être sûre que tu ne viendras pas me tuer pendant mon sommeil, comme tu viens subtilement de me le rappeler.

Il remue la tête de désapprobation.

- Non, non. Pas à moi Mariposa.

L'écran de son téléphone s'illumine sur la table. Il se redresse aussitôt, regarde l'heure puis termine par se lever. Ses mouvements s'enchaînent si rapidement que je ne peux que les regarder avec surprise.