Le goût du crime

34- Le déni

- Lys -

Malgré la diversité et le nombre de personnes qui ont défilé devant moi, on n'a cessé de me poser les mêmes questions.

A présent, ni l'ampoule qui grésille ni l'officier de police judiciaire n'arrivent à m'arracher une quelconque réaction. Je demeure impassible, comme si mon âme était restée dans la voiture lorsqu'elle a pris feu.

Je n'ai aucune égratignure, aucune cicatrice pour me rappeler que tout cela était bien réel. Que lui est mort.

Il est mort.

Papa est mort.

Je me le répète, encore et encore, dans l'espoir de faire couler une larme. Mais ça reste à l'intérieur. Et ça fait mal.

- Madame Daunely ? m'interpelle l'officier une énième fois.

Je me recentre sur ses yeux bruns, qui constituent actuellement mon seul point d'ancrage à la réalité.

- Pourriez-vous répéter s'il-vous-plaît ?

- Certaines personnes ont attesté avoir entendu des coups de feu des deux partis, reprend-t-elle. Souhaiteriez-vous revenir sur votre témoignage ?

- Je vous l'ai dit : je conduisais et j'ai soudainement entendu des bruits sourds. On a dû tirer dans l'un de mes pneus puisque j'ai perdu le contrôle du volant. Nous avons heurté violemment le terre-plein central et l'air bag s'est déclenché. Mon père ne remuait plus, je suis sortie complètement paniquée pour tenter de le sauver. Néanmoins, en apercevant que la voiture était sur le point d'exploser, j'ai couru dans l'autre sens et... Tout s'est passé si vite... Pourquoi dois-je à nouveau me répéter ?

- Ces procédures sont pour votre bien, madame. Nous souhaitons élucider la cause de tout cela au plus vite afin de punir les coupables et s'assurer qu'il n'y ait plus aucun risque.

- J-Je me fiche de ce que vous souhaitez. Qu'ils viennent me tuer aussi ! Comment arriverai-je à vivre après une chose pareille... ?

Mes bras se mettent à trembler et je passe les mains dans mes cheveux avec une inspiration saccadée pour me calmer. L'officier baisse les yeux en regroupant toutes les feuilles amassées devant elle.

- Je comprends... murmure-t-elle d'une voix pleine de compassion. Il me reste une dernière question avant de vous libérer. Le procureur a rouvert le dossier de votre père sous motif de nouveaux éléments décisifs. Etiez-vous au fait ? Quel était l'origine de ce changement soudain ?

- N'est-ce pas vous qui représentez la loi ? Ce n'est pas à moi de vous renseigner à ce sujet. La seule chose que je sais c'était... c'était qu'il était enfin libre.

- Savez-vous s'il était impliqué dans un réseau de crime organisé ?

Contrairement à toutes ses autres questions, celle-ci se grave de manière limpide dans mon esprit.

Esteban. Il est évident que la personne visée était lui. Mon père n'est qu'un dommage collatéral. Ce constat transperce mon cœur comme une lame.

- Non.

L'officier hoche la tête avec une pointe d'insatisfaction puis se lève. Elle m'escorte dehors et me libère avec une copie de ma déposition.

Je me retrouve soudainement seule, perdue au beau milieu de la rue.

Le soleil commence déjà à se coucher. Je n'ai rien avalé de la journée. À vrai dire, je n'ai même pas faim.

Mon estomac se noue à l'idée de rentrer. Je reste immobile quelques minutes, sans savoir quoi faire ni où aller quand le téléphone vibre dans ma main.