32- La douceur

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- Lys -

Je reste béat devant l'écran du téléphone, réalisant qu'Esteban vient juste de me raccrocher au nez. Je suppose que je n'avais aucune chance de le retenir...

Lorsque j'ai croisé Stella en train de se disputer avec la secrétaire d'accueil à l'hôtel de vente, j'ai mis quelques secondes à réaliser qu'il s'agissait bien d'elle. Je me suis échappée plus tôt du travail et je l'ai amenée directement à mon appartement.

A présent, voilà que j'ai dû prétexter me changer pour passer un appel discret. J'espère qu'elle ne m'en voudra pas...

D'un autre côté, je ne pouvais pas laisser Esteban déclarer la guerre à la moitié de la planète uniquement parce qu'il ignore que sa fille est avec moi.

J'enfile un short accompagné d'un débardeur et retourne au salon où la petite m'attend. Elle est assise sur le canapé en remuant l'air des pieds avec un sourire étrangement satisfait.

Elle se redresse lorsqu'elle m'aperçoit revenir. Je l'interroge en fouillant dans les recoins de ma cuisine à la recherche de quelque chose à lui donner pour grignoter :

- Pourquoi avoir fugué aujourd'hui ? Je veux dire... ça fait longtemps que c'est comme ça pour toi...

Un silence s'installe soudainement dans l'appartement. Lorsque je retourne au salon, un paquet de biscuits au chocolat en main, elle répond d'une petite voix.

- Il travaille tout le temps mais d'habitude... d'habitude il y a toujours une journée où papa reste avec moi. Ça fait plusieurs fois qu'il peut pas... Au début, il s'excusait. Ce matin, il est parti avant même que je me réveille. Il se fiche complètement que j'existe ! Lo odio !

Stella saisit un gâteau qu'elle enfoui dans sa bouche d'une seule traite. Entendre Esteban appelé papa me fait un drôle d'effet mais je commence à m'y habituer.

- Oh non, ne dis pas cela... Au fond, tu sais qu'il tient à toi plus que-

Ses yeux brillants et sa lèvre inférieure qui se serre pour ne pas trembler m'arrêtent.

- Ça doit être ça... Parce que sinon... murmure-t-elle avec peine. Sinon c'est que je le rends triste. Que je lui rappelle juste la mort de maman. C'est pour ça qu'il ne veut plus rester avec moi, pas vrai ? Parce que c'est moi qui aies vu le corps de maman ce jour-là...

La larme qui avait fini de perler se rompt et coule le long de sa joue lisse. Sa petite voix frêle et la tristesse infinie qu'elle contient me brisent.

C'est elle qui a été la première à découvrir sa mère morte ?

Je n'ose même pas calculer l'âge qu'elle devait avoir à l'époque... Aucun enfant ne devrait connaître cela.

Alors que mes propres yeux se mettent à larmoyer, je pose mes genoux au sol et essuie la trace humide sur sa pommette avec mon pouce. Son regard plonge dans le mien à la recherche de tout le réconfort qu'elle pourrait y puiser.

- Eh, qui a bien pu te mettre une idée pareille dans la tête ? Ton père a beaucoup de travail et, entre nous, il n'a pas vraiment choisi le metier le plus facile.

Elle esquisse un léger sourire.

- Mais s'il te surveille autant, continué-je, c'est parce que tu es la seule chose qui lui reste à laquelle il tient réellement. Il ne veut pas te perdre parce qu'il t'aime plus que tout, et rien ne saurait changer la manière merveilleuse avec laquelle il te voit. Tu es sa fille, peu importe où tu iras ou ce que tu feras, il y aura toujours cette partie de lui qui restera avec toi et qui en sera fière.

Le goût du crimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant