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Je fus rentrée chez moi en un rien de temps. J'habitais à moins de cinq minutes de là, dans le quartier de Tenderloin, à deux pas du centre névralgique d'Union Square.

Je verrouillai la voiture et marchai à travers le souterrain jusqu'à la porte blindée. Je posai alors mon pouce sur le capteur d'empreinte vissé dans le mur en béton. Quelques instants après, une lumière verte s'alluma et la porte émit un cliquetis. Je la poussai pour entrer dans le sas, fouillant mon sac d'une main afin d'en tirer la carte magnétique qui permettait ensuite d'actionner l'ascenseur.

L'immeuble Lincoln était un véritable bunker sécurisé. Une précaution loin d'être inutile à Tenderloin. Le quartier jouissait en effet d'une terrible réputation en raison de son taux de criminalité tristement élevé. Certes, j'étais la Mort, immortelle, mais pas invincible. Une balle dans la tête, et paf, je passerais de l'autre côté comme tout le monde.

Grimaçant à cette pensée, je glissai la carte dans le lecteur et j'entendis soudain résonner un roulement mécanique dans la cage d'ascenseur.

Si je faisais le cumul total, San Francisco était la ville où j'avais vécu le plus longtemps. Peu importe où j'allais, je revenais toujours. C'était mon endroit préféré sur Terre. Nulle part ailleurs je n'avais retrouvé l'atmosphère si particulière qui régnait ici. Cet élan de liberté, cette lumière, ce climat atypique – ensoleillé et brumeux. Après un long exil passé à Seattle – beurk –, j'étais donc enfin de retour.

Mon réemménagement datait d'à peine six mois et c'était en parfaite connaissance de cause que j'avais choisi de poser mes valises à Tenderloin, ce quartier mal famé. La raison ? Je n'y avais encore jamais habité. Personne ne me connaissait, ce qui représentait un sacré avantage quand on pense que je ne prenais pas une ride depuis des siècles. Même si la chirurgie esthétique faisait des miracles de nos jours – autant qu'elle faisait de ravages, cela dit –, ne pas vieillir du tout générait un paquet de questions chez la plupart des gens. Voilà pourquoi je déménageais souvent et vivais en ermite.

L'ascenseur me déposa au quinzième étage.

En rentrant dans l'appartement, je retirai mes talons et commençai par débarrasser les restes du diner de la veille que je n'avais pas eu le courage de nettoyer. Ce n'était pas le Ritz, mais je n'avais vraiment pas de quoi me plaindre dans ce grand deux pièces.

La cuisine était assez récente et complètement équipée. Elle s'ouvrait sur un salon lumineux, doté de grandes fenêtres à battants, et la chambre était suffisamment spacieuse pour que j'aie la place de ranger toute ma garde-robe, ce qui n'était pas une mince affaire. Quand on a l'éternité devant soi, on accumule, on entasse, c'est normal. Mais à ce point, sûrement pas. Je dépassais les bornes en matière de commandes sur internet. C'était pathologique. À tel point que j'étais régulièrement obligée de donner des vêtements aux bonnes œuvres, sans quoi j'aurais fini ensevelie sous une montagne de robes et de tops.

Une fois la table basse du salon nettoyée et le lave-vaisselle lancé, je me sentais enfin prête à mettre au point mon opération commando.

D'abord, il me faudrait trouver ce Reg. Pour cela, j'avais ma petite idée : un sortilège de localisation. Ça impliquerait toutefois d'utiliser une partie de l'énergie de l'âme d'Hopkins. Une chose qui me déplaisait, même si je m'y voyais contrainte. Sans cela, il me serait impossible de lancer un quelconque sortilège. Les âmes constituaient l'unique source d'énergie magique sur Terre. Dans cette histoire, le cristal jouait quant à lui le rôle de catalyseur surnaturel, capable d'emprisonner ou de libérer cette énergie.

Un si grand pouvoir concentré en un si petit objet, pensai-je en l'effleurant du bout des doigts.

Suspendu au bout de ma chaine or blanc, il ne dépassait pas les trois centimètres de longueur. Sa forme était celle d'un prisme étroit et sa surface lisse, parfaitement polie, donnait l'impression qu'il sortait d'une bijouterie. Ses extrémités se terminaient de façon symétrique, comme deux pyramides. Il laissait voir en transparence tel un diamant, sans qu'on puisse suspecter quoi que ce soit d'extraordinaire chez lui. De l'extérieur, ce n'était qu'un vulgaire caillou. Rien ne trahissait ses propriétés surnaturelles. Mais, si j'avais pu vivre toutes ces années, c'était bien grâce à lui.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant