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Alba (feat Sofiane Pamart) - Bon entendeur, Sofiane Pamart.

Électrique. Tendue. Glaciale.

Je ne saurais dire lequel de ces adjectifs convenait le mieux pour décrire l'ambiance au déjeuner, le lendemain. Les fourchettes se plantaient avec une vigueur injustifiée dans le pauvre blanc de poulet, tel un exécutoire à des pulsions meurtrières. Des deux côtés de la tables, les regards assassins fusaient entre Cassie et Sarah. Loin de son attitude détachée de la veille, Ethan œuvrait en démineur, lançant des conversations tous azimuts. Personne n'y prenait part. Résultat : il dégoisait à m'en donner la migraine.

Après le psychodrame au Blueberry, j'aurais jugé préférable que les deux filles fassent table à part, mais j'étais apparemment la seule de cet avis. J'endurais donc, comme j'y étais désormais rodée – en martyre.

Ethan lâcha prise au bout d'un quart d'heure et on entendit plus que le bruit des couverts. J'en vins presque à regretter ses palabres. Bien qu'elles fassent grimper en flèche ma pression intracrânienne, elles nous épargnaient jusqu'alors ce silence lourd et écrasant.

— Au fait, la sortie à L.A tient toujours ? se risqua Jenny du bout des lèvres.

— Évidemment ! répondirent Cassie et Sarah de concert.

L'une l'autre se toisèrent avec aigreur. Aucune ne comptait tolérer la présence de sa rivale lors de ce séjour, et pourtant, aucune ne semblait prête à y renoncer. Les narines de Sarah frémissaient de rage quand l'œil droit de Cassie tressautait nerveusement.

De peur d'assister à un bain de sang, ou qu'on me propose encore de les accompagner, je décidai de prendre de l'avance sur la sonnerie. Je me levai derechef. Cassie m'imita et nous filâmes ensemble vers notre salle de cours sans échanger un mot.

À notre arrivée, Petterson était déjà installé à son bureau, penché au-dessus d'un tas de copies. Je le surpris à relever subrepticement le regard et esquisser un sourire quand nous prîmes place au fond de la salle, le plus loin possible de lui.

Peut-être imaginait-il que je le craignais.

S'il savait...

J'avais besoin de réfléchir. La tournure qu'avait pris l'affaire Jackman me préoccupait. A priori, l'autopsie conclurait à un arrêt cardiaque ; les légistes ne décèleraient pas d'anomalie. Le plus compromettant serait qu'un témoin ait relevé ma plaque ou qu'on découvre des preuves de ma présence sur le lieu meurtre, comme des cheveux – cet abruti avait certainement dû m'en arracher quelques-uns. Mais même dans ce cas, les tests ADN ne révèleraient rien. Je n'apparaissais dans aucune base de données. Mon casier judiciaire était vierge. Alors, comment pourraient-ils remonter jusqu'à moi ?

— Une idée, Cassie ? demanda Petterson.

Lisait-il mes pensées ? Non, à l'évidence il faisait référence au cours qui avait débuté depuis je ne sais quand. Je n'y avais pas prêté attention et j'ignorais jusqu'au sujet de la question.

Pestant discrètement, Cassie revissa sur ses genoux le bouchon de son flacon de vernis. Son visage contracté par la réflexion confirma ce que je pensais : elle et moi en étions au même point. Elle tripotait maintenant une mèche de cheveux et comme je le craignais, son silence coupable encouragea Petterson à se tourner vers moi.

— Eléonore ?

Arrrrrrrrrrrgh !

C'est là tout ce qui me venait en tête. Pas question cependant de le décevoir. Je comptais bien jouer l'élève modèle pour gagner sa confiance.

À coup sûr, l'information flottait à la surface de ses pensées. Quelques secondes devraient me suffire à fouiller son esprit ; je ne pourrais de toute façon me permettre une incursion plus longue. Les sortilèges touchant à la conscience étaient un gouffre en énergie de par l'intangibilité et l'instabilité de ce qui la constituait. S'aventurer dans ses profondeurs représentait un sérieux risque de consumer une âme. Quant à altérer un souvenir ou rien qu'une pensée, même fugace, n'en parlons pas.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant