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Wait - M83

La mère était engoncée – c'était le cas de le dire – dans son tailleur noir. Il paraissait trop petit, comme si son cœur était sorti de sa poitrine et prenait toute la place. Son regard se cachait derrière d'énormes lunettes de soleil, et son visage, sous un chapeau duquel pendait un voile en dentelle. Le père, lui, n'avait aucun de ces artifices pour masquer sa peine. Il était décomposé – yeux rouges et cernes creusées. À ce stade on ne parlait même plus de cernes mais d'hématomes qui lui mangeait la moitié de la figure.

— Vous étiez dans la voiture ? m'interrogea la mère, d'une voix aux fluctuations perturbantes, éraillées.

— Oui.

— C'est vous qui conduisiez, n'est-ce pas ?

— Oui.

— C'est de votre faute ! cracha-t-elle, suffoquée, une main sur la poitrine comme si j'y avais planté une lame.

Je m'étais remise à fixer mes pieds, mais j'avais conscience que tout le monde nous observait.

— Vous l'avez tuée !

Ses escarpins frappèrent l'herbe avec une telle fureur que ses talons s'enfoncèrent dans la terre.

— Comment avez-vous pu vous montrer si imprudente ? embraya le mari, prenant le relais de sa femme submergée.

— M.Parker, je vous en prie, supplia Cassie. Je vous ai déjà raconté comment tout s'est passé. Eléonore n'a...

— ASSEZ ! Assez, Cassie !

Assaillie de reproches, je ne parvenais pas à me défendre. Le souhaitais-je seulement ? Ma saleté de voix intérieure me soufflait qu'ils avaient raison. Si j'avais roulé moins vite et n'avais pas été distraite par le GPS, je n'aurais pas été surprise par ce camion, et je n'aurais pas perdu le contrôle du véhicule. Cet aveu de culpabilité m'arracha de nouvelles larmes.

— Je suis désolée...

— Je me fiche bien de vos remords ! attaqua Mme Parker, aussi impitoyable que pouvait l'être parfois Sarah. C'est pour cela que vous êtes venue ? Afin de soulager votre conscience ?

— Vous avez du culot !

— Vous n'avez rien à faire ici ! Partez ! me hurla-t-elle. Partez, je vous dis ! Et ne revenez jamais, vous m'entendez ?! JAMAIS !

Je levai le menton, déconfite.

Le prêtre n'avait plus de mot. Et le parterre d'invités m'observait avec horreur, comme si je venais d'actionner le lancement d'une ogive nucléaire ou de déclencher une arme bactériologique redoutable. Je reculai maladroitement, et me cognai contre une chaise qui me fit trébucher. Je poussai sur mes bras pour me relever. Mes genoux étaient couverts de terre et ma vision s'était troublée. D'abord, je crus devenir aveugle. La seconde d'après, je compris que le responsable de cette soudaine cécité n'était autre que le torrent lacrymal que déversaient mes yeux. J'ouvris la bouche pour me justifier, puis la refermai aussitôt, m'enfuyant à mon tour. Au triple galop.

Je manquai à la fois de trébucher sur les stèles et de m'y rompre la nuque. Je les discernais à peine. Un rideau me barrait la vue. Ce qui n'entama pourtant en rien ma détermination à déguerpir. Je courrais aussi vite et aussi loin que mes jambes acceptaient de me porter. Mais avant qu'elles déclarent forfait, mes poumons brulèrent et mon cœur s'épuisa. Je prolongeai l'effort autant que possible – cents mètres, à tout casser – puis m'arrêtai complètement lorsqu'une vive douleur déchira le creux de ma main.

Dans ma course effrénée, mes doigts s'étaient refermés sur la rose blanche.  Ses épines m'avaient entaillé la chair, et du sang sortait des petits trous qu'elles avaient laissés dans mes doigts. J'en fis abstraction en dépit de l'inconfort, préférant me mettre en quête de la sortie. De tous les côtés, je ne voyais que la mort à l'horizon. Un peu comme si l'univers se fichait de moi et m'envoyait un screenshot résumant mon existence. Une éternité de solitude au milieu de défunts, dirait la légende. J'avais l'impression de tourner en rond, perdue dans un cimetière... J'étais prête à me laisser mourir sur place – il y avait sûrement un trou disposé à m'accueillir dans les parages –, lorsqu'une main se posa sur mon épaule.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant