19-

160 35 70
                                    

Heat Waves - Glass Animals

— Tu t'es perdue ou quoi ?

— Hein ? Non... je... j'étais...

Mes hésitations déclenchèrent l'hilarité de Cassie qui m'entrainait maintenant à travers un dédale de coursives tortueuses et bondées.

— Je sais, il est genre... whaou, s'excita-t-elle.

— J'imagine, tempérai-je.

— T'es bien la seule ici à ne pas vénérer le Dieu Petterson ! Mais ça va venir, on va te convertir !

Je répondis à sa boutade par un sourire mesuré pendant que mentalement, je m'enfonçais les doigts au fond de la gorge pour me faire vomir... Je n'avais aucune envie qu'on me convertisse à quoi que ce soit... Et surtout pas au culte d'une personnalité lunatique. C'est vrai, le comportement de ce type était incompréhensible. D'abord, il était odieux, puis normal, puis odieux et m'ignorait, puis donnait l'impression de vouloir me parler... C'était à n'y rien comprendre !

Devant l'entrée du réfectoire, une centaine d'adolescents s'entassaient dans l'étroit couloir. Il y en avait au moins pour une demi-heure avant d'entrevoir les contours d'un quelconque aliment. Mais je m'en fichais, je n'avais plus faim. L'émotion d'une telle matinée m'avait retourné l'estomac.

— Tu rigoles ?! s'indigna mon nouvel acolyte quand je m'appuyai contre le mur pour patienter.

Je l'interrogeai du regard.

— Viens par-là, me chuchota-t-elle à l'oreille.

Elle m'attrapa par la main et nous fit remonter toute la file sous les regards des autres élèves apparemment coutumiers de ce genre de privilèges tout droit hérités de l'Ancien Régime.

Et moi qui les croyais abolis depuis 1789...

En chemin, j'écrasai malencontreusement les pieds de certains avec mes talons. Je me retournai à chaque fois pour m'excuser, à la différence de Cassie qui virevoltait entre les élèves. Elle, avait l'assurance de l'habitude. Elle doublait les autres sans vergogne, sans même prendre la peine de feindre un quelconque embarras. Elle était vraisemblablement populaire pour se permettre de faire ce genre d'initiative, et cela ne m'étonnait guère.

Avec ses cheveux châtains cuivrés, ses yeux verts en amande, sa taille de guêpe et son teint halé, Cassie était le genre de filles qui suscitait envie et admiration.  Pourtant, quelque chose d'indéfinissable me chiffonnait chez elle. Je la détaillai avec attention, mettant un moment à saisir d'où me venait cette drôle d'impression, avant de réaliser : c'était ses yeux. Ils ne souriaient pas. Même lorsqu'elle éclatait de rire en me voyant estropier les autres élèves sur mon passage. Son regard demeurait lointain, comme absorbé ailleurs, par d'autres considérations.

S'il y avait quelqu'un ici qui aurait dû se sentir préoccupée, c'était moi. Pas la lycéenne populaire et pleine aux as...

Me rappeler ma situation foireuse avait fini de me couper l'appétit pour de bon. Je posai une salade de crudités, une pomme et un soda sur mon plateau. Pas de caviar aujourd'hui...

— Tu fais une grève de la faim ? demanda Cassie en jetant un coup d'œil à mon menu.

— Je suis anorexique.

— Oh merde...

— Je plaisante, dis-je sans pouvoir m'empêcher de lever les yeux au ciel. Ça doit être la rentrée, le stress tout ça...

Et on n'était pas loin de la vérité.

Sans autre commentaire qu'un regard incrédule, Cassie me conduisit à l'extérieur en me faisant passer par une porte dérobée, à droite du rail métallique du self-service. Nous débouchâmes au milieu de nombreuses tables surmontées de parasols rouges et blancs. Derrière elles, s'étendait un parc arboré, sur plusieurs hectares. Certains garçons du lycée se faisaient des passes avec un ballon de football. D'autres élèves rêvassaient en couple, étendus sur des serviettes de plage, quand d'autres encore, mangeaient une glace sur un banc, à l'abri du soleil de la fin d'été.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant