Située sur Crescent Lane, une impasse pavillonnaire chic et tranquille, la maison de Reg ne ressemblait pas à ce à quoi je m'étais attendue. Ce n'était certes pas la plus grande du quartier, pas la plus belle non plus, mais elle semblait tout à fait convenable avec sa jolie clôture blanche et sa pelouse bien entretenue. Personne n'aurait pu soupçonner que derrière le vernis de cette ravissante maison de banlieue, vivait un individu aussi dérangé.
Car pour une raison que je ne m'explique pas, dans l'imaginaire collectif – dans le mien en tout cas –, les détraqués habitent forcément un lieu sordide qui reflète leur désordre psychique. La réalité prouvait souvent le contraire. Les banlieues tranquilles étaient un repaire comme les autres pour les déséquilibrés. C'est vrai, combien de fois avait-on entendu à la télévision de braves ménagères assurer aux micros de journalistes que leur voisin était poli, gentil, un type sans histoire, après que ledit voisin ait commis un massacre à la supérette du coin ?
Je soupirai en montant les marches en bois du perron. Maintenant que j'étais là, prête à me jeter dans la gueule du loup, je priais pour m'être trompée de personne et que ce Reginald n'avait rien à voir avec Reg mais... un pick up noir était garé dans l'allée. Combien y avait-il de chances pour que ça ne soit qu'une improbable coïncidence ? Sûrement aucune.
Me sentant tout à coup nerveuse, je tirai sur le bas de ma robe. Elle était courte et pourvue d'un décolleté volontiers aguicheur. Avec mes talons, les plus hauts que je possédais, on peut dire que j'avais sorti la panoplie de la parfaite séductrice...
Je soufflai un grand coup afin de me donner du courage. Ça ne serait pas bien compliqué, je n'avais qu'à jouer la demoiselle en détresse. La version moderne du personnage, celle qui refuse les avances du chevalier. S'il me laissait gentiment partir, il aurait la vie sauve. Dans le cas contraire... mieux valait pour lui qu'il ne le découvre jamais...
Arrivée en haut des marches, une lumière vive s'alluma, éclairant le porche jusqu'alors plongé dans l'obscurité. De surprise, je faillis me sauver en courant avant de réaliser qu'il s'agissait d'un système automatique que j'avais dû déclencher en passant devant le capteur de mouvement.
Hésitant, je me retournai vers la rue noire et silencieuse où ma Mini m'attendait.
Et si tout cela était ridicule ? Le diagnostic psychiatrique de ce type n'était plus à faire. Mon rôle, cependant, ne se rapprochait en aucune façon de celui de justicière. Mon job c'était de faucher les âmes égarées, celles des indécis, et non pas de m'occuper d'une âme qui, à première vue, avait déjà choisi son camp. Celui du mal.
En pleine journée, dans la chaleur du café et le ventre plein de sucre, l'idée m'avait exaltée. Mais à présent, dans la nuit tombée, devant la porte d'un agresseur avéré, je ne me sentais plus l'étoffe d'une justicière. Qu'il en fût pour le bien de l'humanité entière, ou juste pour le mien, j'avais simplement envie de rentrer à la maison.
Il y avait tant de raisons pour que la situation dégénère. Et s'il ne vivait pas seul ? Et si, au moment où la porte s'ouvrait, je découvrais à la place de Reg un enfant ?
J'abandonnerais, bien sûr !
Priant à présent égoïstement pour qu'il soit père, et même à la tête d'une famille nombreuse, je m'avançai, l'index tendu. J'avais presque déjà le doigt sur la sonnette lorsque je m'arrêtai soudain. Et si Reg me reconnaissait ? M'avait-il seulement vue à Starbucks ?
D'un seul coup, la porte s'ouvrit, mettant fin aux réflexions qui m'agitaient de l'intérieur. J'étais figée, le doigt toujours en l'air, tandis que Reg m'observait étrangement, une cigarette au bec.
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Lips As Red As Hell [TERMINÉ]
ParanormalQuand la Mort débarque au lycée... Figée dans ses vingt-et-un printemps depuis des siècles, Eléonore mène à San Francisco une vie seulement rythmée par son travail : faucher des âmes. Sa routine est aussi plate que l'encéphalogramme d'un cadavre et...