Trouble - Coldplay
Comme l'exige la loi de l'emmerdement maximum, je dus affronter l'humiliation de traverser la réception, escortée par pas moins de trois personnes, sous la supervision angoissée de Charles, et tombai évidemment sur Rendall dès notre arrivée aux urgences... D'ailleurs, c'est plutôt lui qui me tomba dessus.
Considérant le lieu, l'heure et mon visage d'outre-tombe surtout, il comprit à juste titre que le bénévolat n'était pas la raison de ma venue – pas plus que lui. Il se mit à courir vers nous. Et une fois que je fus à sa portée, je regrettai presque d'avoir ressuscité. Il parlait vite et posait dix milliards de questions à la fois. Cassie – seule à même de tenir ce débit de parole sans risquer une rupture d'anévrisme –, le briefa pendant qu'on me conduisait en salle d'IRM.
L'attente dans le tube magnétique fut comme le reste de ma vie, longue et empreinte d'un sentiment d'étouffement quasi constant. Je suffoquais là-dedans. À croire que même l'air était claustrophobe, et qu'il s'était tiré ! Mais moi, je devais rester immobile ; facile à dire ! Au moindre tressautement de ma part – conséquence des claquements secs que produisait la machine – Rendall me rappelait à l'ordre.
— ARRÊTE DE TE TORTILLER, me hurlait-t-il par le haut-parleur.
À cause de ma bougeotte incontrôlable, l'examen dura des plombes. Je pensais à hurler pour exiger qu'on me sorte de là, quand la table sur laquelle j'étais allongée se mit enfin en mouvement.
— Super, Eléonore ! me félicita Rendall comme s'il s'adressait à une enfant.
Super n'était pas le qualificatif qui me venait dans ces circonstances. M'enfin... tout était bon à prendre, tant qu'on me laissait en paix.
À mon retour dans le couloir, Cassie s'était volatilisée.
— Je lui ai dit de rentrer chez elle, m'apprit David.
— Merci... soupirai-je.
Il m'observa, désarçonné par ma gratitude, comme s'il s'était attendu à une autre réaction. Peut-être pensait-il que cela m'embêterait ? Ç'aurait-pu être le cas, effectivement, si je n'étais pas si ingrate...
— Elle devait être fatiguée de toute façon, ajoutai-je en éliminant de ma voix et de mon visage tout ce qui était assimilable à du soulagement. La soirée a été longue.
Constatation à laquelle il ne put qu'acquiescer.
Les résultats de l'IRM étaient impeccables, mon cerveau fonctionnait – au moins aussi bien qu'avant. Je ne m'étais pas transformée en zombi, nouvelle ô combien rassurante après être revenue d'entre les morts. Je fus donc libre de rentrer, même si on insista lourdement pour que je reste en observation. Et par « on », j'entendais David et Rendall. Cette fois, je ne me laissai pas faire et obtins gain de cause de haute lutte.
— Donc... c'est ton... petit ami ? me demanda Rendall pendant qu'on patientait à l'extérieur en attendant que David revienne me chercher avec la voiture.
— Oui, répondis-je simplement, car je le considérais ainsi bien que la situation fût inédite.
— Tu ne trouves pas qu'il est un peu vieux pour toi ?
Je me contentai de sourire, et ça me fit mal aux muscles de la mâchoire. Mes zygomatiques étaient contracturés.
— C'est vrai, insista Rendall, plaidant peu subtilement sa cause, il doit avoir au moins trente-cinq ans...
— Non. C'est juste les cheveux... Et puis, je serais mal placée pour juger de la différence d'âge...
— Ah ?
Cette interrogation étonnée resta en suspens, le 4x4 venait en effet de s'arrêter à ma hauteur. Avec un air déçu duquel émergeait un début de ressentiment, Rendall m'adressa un dernier signe tandis que je montais dans la voiture. Puis il regagna les urgences, les épaules voutées, la démarche pesante.
J'aurais dû profiter du trajet pour évoquer un certain nombre de sujets avec David, mais manquais soudain d'énergie. La fatigue que l'adrénaline avait jusque-là maintenue à distance était de retour, engourdissant à la fois mes muscles et mes neurones. Je me recroquevillai contre la vitre, les yeux fermés, bercée par les ronronnements du moteur, et par l'air chaud qui s'échappait des grilles de ventilations.
Au moment où mes paupières s'ouvrirent à nouveau, nous étions arrivés.
J'avais l'impression d'être passée directement de l'hôpital au pied de mon immeuble, sans rien entre les deux...
David proposa de monter pour veiller sur moi pendant la nuit, ce à quoi je répliquai qu'il s'agissait d'une précaution superflue. J'avais été auscultée avec suffisamment de minutie pour écarter tout danger. Il fit semblant d'entendre mes arguments, même si l'inquiétude perçait dans sa voix. À la moindre inflexion de ma part, il risquait de passer outre mes protestations. C'est pourquoi je clôturai rapidement la conversation, déposant un baiser sur sa joue rugueuse avant de rejoindre le hall où Charles m'attendait.
***
Dès le lendemain matin, j'avais recouvré mes forces habituelles. À la première heure, j'exigeai des explications de la part de Cassie.
— Comment Petterson est-il arrivé chez moi, sérieusement ?!
Au bout du fil, je l'entendis bailler.
— M'en veux pas... Je suis désolée... Vraiment ! Mais quand je t'ai trouvée dans cet état, et que je n'arrivais pas à te réveiller, j'ai paniqué. J'ai pris ton téléphone sur la table de nuit et je suis tombée sur son message. Je ne savais pas qui appeler d'autre...
— Les secours, par exemple !
— Eh, c'est aussi ce que j'ai fait je te signale ! Après que Petterson m'ait hurlé dessus de le faire, j'avoue. J'étais bourrée, ok ?
L'agacement persistait même si je savais que je ne pouvais pas lui en vouloir.
— Ça je l'avais remarqué. Avec un tel coup dans le nez, je me demande comment t'as fait pour me trouver à temps...
— Eléonore, sans vouloir te vexer, ton canapé c'est du béton. Ça réveillerait un mort de s'allonger là-dessus. J'ai voulu te rejoindre dans la chambre, et ça m'a étonné que la lumière soit toujours allumée. Je me suis approchée et c'est là que j'ai vu tes lèvres toutes bleues. Je t'ai secouée... et...
Sa voix s'enroua.
— Cassie, tout va bien. Je suis vivante.
— Mais si je ne m'étais pas réveillée, ou que j'avais simplement éteint la lumière ou...
— Arrête un peu, soupirai-je doucement. Rien de tout ça n'est arrivé, alors pas la peine d'en faire un drame. (Je m'interrompis quelques secondes.) Mais merci, de t'être réveillée et tout et tout...
Quand je raccrochai avec Cassie, je consultai mes messages. Le dernier datait de la nuit dernière.
Rentré à l'instant. Désolé de t'avoir abandonné comme ça dans les loges...
J'ai parlé à Santos, elle ne dira rien.
La prochaine fois, rien ni personne ne nous interrompra. Je t'en fais la promesse...
D.
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Lips As Red As Hell [TERMINÉ]
ParanormalQuand la Mort débarque au lycée... Figée dans ses vingt-et-un printemps depuis des siècles, Eléonore mène à San Francisco une vie seulement rythmée par son travail : faucher des âmes. Sa routine est aussi plate que l'encéphalogramme d'un cadavre et...