— J'ai une mission à te confier. Une mission de la plus haute importance, compris ?
Je ne fis rien qui pût signifier que ce fût le cas.
Le soulagement qui m'avait brièvement effleurée en apprenant qu'il ne comptait pas me tuer – en tout cas pas de manière immédiate – s'était déjà mué en méfiance. Le ton caressant de sa voix résonnait en moi comme une mise en garde. Derrière l'enrobage de sucre glace, je devinais en filigrane la terrible menace à laquelle je m'exposerais en cas d'échec.
— Pourquoi moi ?
— Parce que j'ai confiance en toi. Je te connais Eléonore, mieux que tu ne peux le croire.
Je tâchai de ne pas frissonner. Je n'osais imaginer tout ce dont il avait connaissance à mon sujet.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire, repris-je d'un ton ferme dans une tentative de dissimuler mon malaise. Pourquoi ne pas vous en charger vous-même, si cela est si important ?
Clarke sourit encore, sans qu'aucune once d'amusement ne traverse son regard, aussi froid et insondable que les profondeurs du pacifique.
— La mission consiste à faucher une âme. Cela relève de tes attributions, si je ne m'abuse. Qui plus est, l'intéressé habite San Francisco, il dépend donc de ta... juridiction, si je puis-dire, termina-t-il en pointant un index dans ma direction.
A croire qu'il m'avait sélectionnée pour être la star d'un nouveau télé-crochet...
Que me cachait-il ? Il devait bien y avoir un piège, un vice caché. Sinon pourquoi m'appeler en urgence à l'autre bout du pays ? L'âme de cette personne était-elle si importante à ses yeux ? Et encore une fois, pourquoi moi ? Même si je n'en connaissais aucune, j'étais certaine de ne pas être la seule Mort de la ville. D'accord, Clarke disait me connaître, mais cette raison était loin de me convaincre.
— C'est l'âme d'un indécis ?
Clarke parut hésiter à répondre.
— Non, concéda-t-il.
— Alors cela ne relève pas de mes fonctions.
Une lueur d'agacement alluma son regard glacé.
— Indécis ou pas, cela ne t'a jamais arrêtée.
Malheureusement, je ne pouvais démentir cette affirmation. Pour tourner court à ce sujet glissant, j'enchainai :
— Qui est-ce ?
De ses doigts osseux, Clarke fit glisser vers moi l'enveloppe sur la table basse. Je m'en saisis de mauvaise grâce et l'ouvris. Sur le papier plié à l'intérieur, je lus un nom suivi d'une adresse. Rien d'autre.
— Il enseigne le français au lycée de Pacific High.
Je levai mes yeux de l'inscription manuscrite.
— Vous vous intéressez à tous les profs de français de la ville ?
Clarke ne gouta guère ma répartie. Sa mâchoire se crispa.
— Je ne m'attends pas à ce que tu comprennes, mais à ce que tu t'exécutes.
— J'estime que...
— C'est un arrangement simple, ma chère, me coupa-t-il.
— Si arrangement il y a, rétorquai-je.
Je me redressai de mon fauteuil, de plus en plus méfiante.
Cette fois il ne parut pas énervé. Au contraire, un sourire froid et cynique se dessina sur ses lèvres. Je frémis devant la vivacité avec laquelle il changeait de visage. La veille j'avais fait le serment d'éviter les psychotiques, et voilà qu'aujourd'hui, j'échafaudais un meurtre avec l'un d'eux.
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Lips As Red As Hell [TERMINÉ]
ParanormalQuand la Mort débarque au lycée... Figée dans ses vingt-et-un printemps depuis des siècles, Eléonore mène à San Francisco une vie seulement rythmée par son travail : faucher des âmes. Sa routine est aussi plate que l'encéphalogramme d'un cadavre et...