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Comme je le craignais, l'aérogare était bondée. Ces bousculades de voyageurs pressés avaient tendance à me rendre nerveuse, voire à me faire péter les plombs. J'enregistrai au plus vite mon bagage et le regardai avec envie disparaître dans les entrailles de l'aéroport. J'en aurais bien fait autant – disparaître.

Je ne m'étais toujours pas remise du coup de fil de la veille. Qu'il m'appelle en personne était si étrange, si inattendu... Depuis des siècles que j'étais une Mort, nous n'avions jamais eu aucun contact. Je ne le connaissais pour ainsi dire ni d'Ève, ni d'Adam. Lui, en revanche, savait nombre de choses à mon sujet, à commencer par mon existence, mon nom et mon numéro de téléphone. La question se posait plutôt en ce sens : qu'ignorait-il de moi ? Je préférais de pas y songer, tant la réponse m'inquiétait.

Vers neuf heures, après avoir avalé un petit déjeuner frugal et acheté des chewing-gums à la menthe, je traversai l'aérogare jusqu'aux filtres de sécurité. Un véritable calvaire si on combinait la fouille, à la rare antipathie des employés en charge. Résolue, je déposai dans un bac en plastique la majorité de mes effets personnels. Je ne manquai pas de les récupérer de l'autre côté du portique de sécurité, après qu'une personne – dont l'amabilité rivalisait avec celle d'une porte de prison – eût terminé l'exploration des recoins les plus improbables de mon anatomie...

J'évitai le détour, presque obligé, par les kiosques à journaux et les magasins duty free. Je poursuivis mon chemin vers les écrans à l'autre bout du terminal. Quand je repérai mon numéro de vol parmi les centaines de destinations, je me dirigeai d'un pas énergique vers la porte 46.

Quelques minutes plus tard, je présentai mon billet à l'agent d'escale, et embarquai pour m'affaler enfin sur mon siège molletonné de business class.

Mes oreilles se bouchèrent lorsque l'avion gagna de l'altitude, sensation désagréable qui me rappelait à chaque fois cette journée.  Celle de mon dernier voyage à New-York, des années auparavant. À ce souvenir, mes doigts se crispèrent sur les accoudoirs.

C'était un matin d'été comme aujourd'hui.  Personne n'aurait pu dire qu'il différerait des autres – à fortiori de façon si tragique. J'étais montée à bord de cet avion, insouciante et gonflée à bloc. J'allais visiter cet appartement sublime près de Central Park que j'avais repéré une semaine auparavant sur le site d'une agence immobilière. J'envisageais alors avec enthousiasme de déménager sur la côte Est, résolution définitivement abandonnée à l'issue de ce jour funeste.

Je me rappelais encore en détail la terreur qui imprégnait les traits du passager d'à côté lorsqu'il m'avait annoncé la nouvelle – ses yeux hagards, son menton tremblotant et la teinte livide qu'avait pris son visage rondouillard. Un BOEING s'était écrasé dans une des tours jumelles du World Trade Center. C'était sa mère, collée devant CNN, qui lui avait dit.

Des téléphones satellites dans un avion... L'absurdité de l'invention avait de quoi agacer. Quelle utilité pouvait-on trouver à se tenir informé dans un endroit clos, à dix mille mètres d'altitude – en somme, dans un cercueil volant ?!

Après cette annonce dévastatrice, s'était ensuivie une attente insoutenable, emplie de crainte et de doutes. La nouvelle s'était répandue en cabine comme une trainée de poudre, engendrant regards suspicieux et mouvements de panique. Certains avaient crié. D'autres, moins nombreux, avaient prié pour arriver en un seul morceau. À quoi bon ? Je m'en étais tenue, pour ma part, à des larmes silencieuses. Une fois la deuxième tour détruite, ma pudeur avait néanmoins volé en éclats, remplacée par de la pure hystérie. J'avais dû avaler cinq fioles de vodka pour revenir à la raison et, plus honnêtement, me défoncer avant une mort qui s'annonçait aussi violente, qu'atroce.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant