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Bitter Sweet Symphony - The Verve

David avait insisté pour me raccompagner. J'avais rechigné, assurant que je n'habitais pas loin, mais j'avais été contrainte d'accepter sa proposition quand il m'avait demandé si quelque chose clochait. Je ne voulais pas qu'il imagine que ça avait quoi que ce soit à voir avec lui, j'étais la seule fautive. J'avais donc grimpé dans le 4x4, sans faire d'histoires.

Si un mois plus tôt on m'avait dit que je serais installée sur le siège passager aux côtés de ce conducteur, dans tout autre contexte qu'un enlèvement suivi d'un passage à tabac, j'aurais refusé de le croire. Pourtant, j'étais là. Les choses avaient changé si vite... J'avais l'impression de ne plus rien maitriser. Et au fond, ça n'était pas qu'une impression.

Je vis David pianoter sur l'écran tactile, et quelques secondes après, Bitter Sweet Symphony du groupe The Verve emplit l'air de l'habitacle. Ça me rappelait l'époque des Spice Girls et mes soirées passées devant Buffy contre les vampires. Une période dont je me rappelais avec nostalgie. À ce moment-là, le monde n'allait pas si mal... Un vent de progrès et d'optimisme –sentiment auquel j'étais pourtant peu perméable –, soufflait sur le monde libre. Même moi, j'avais la conviction que tout irait de mieux en mieux. Illusion perdue à l'aube du troisième millénaire...

— Je ne t'imaginais pas écouter ce genre de musique, dis-je en lui lançant un regard en biais.

— Ah oui ? Et qu'est-ce que je serais supposé écouter, d'après toi ?

— J'en sais rien. Schubert, Mozart ou Bach, déclarai-je en souriant même si j'étais à moitié sérieuse.

Il écarquilla les yeux.

— Eh ! se récria-t-il. Je ne suis pas un boomer... (Un sourire piquant glissa sur ses lèvres.) Enfin, je trouve ça plutôt amusant que tu juges moderne une chanson sortie en 1997. C'est-à-dire, bien avant ta naissance.

Son sourire s'étira encore, comme s'il voyait un sujet comique dans la date de ma venue au monde. S'il connaissait l'année exacte, ça le ferait sans doute moins rire, et un peu baliser...

— Je suis une fille pleine de surprises et de contradictions, soupirai-je.

— Ça, je m'en étais rendu compte, figure-toi.

— Toi aussi, tu es plein de surprises, tu sais.

— Vraiment ? (Il leva un sourcil étonné.) J'ai l'habitude qu'on me trouve mystérieux, au moins pendant les quinze premières minutes, ou irrésistiblement drôle, quoique les avis divergent grandement sur la question. Mais plein de surprises, c'est une première.

Je le regardai avec ironie.

— Et modeste en plus de ça ?

— Plaît-il ?

Je ricanai.

— Et tu te plains que je te pense plus vieux que tu n'es en réalité avec des expressions pareilles ?

Si je lui sortais des termes du dix-huitième siècle, il ferait moins le malin, le damoiseau !

— À ce sujet, plus que ma façon de parler, je crois que ce sont surtout les cheveux gris qui me desservent.

— Au contraire... ça ne te dessert pas du tout, contestai-je en rougissant.

Un rai de lumière perça dans l'habitacle, faisant scintiller l'océan dans ses yeux.

— Et ces surprises que je serais censé réserver, alors ? s'enquit-il intrigué, et déjà moqueur.

— Pour commencer, tu continues à enseigner dans ton état. Beaucoup de gens auraient démissionné, vendu leur maison, et fichu le camp aux Bahamas...

Son sourire se fana, et j'en m'en voulus d'avoir remis sa maladie sur le tapis. Ça l'attristait, lui, et ça m'attristait aussi à cause de ce que j'avais fait...

— Tu n'as pas totalement tort, concéda-t-il avec sérieux en s'arrêtant à un stop. J'aurais pu tout plaquer. Mais ça me plaît d'enseigner, d'être utile le plus longtemps possible. Et puis, si j'étais parti aux Caraïbes, je n'aurais pas rencontré cette fille un peu maladroite sur les bords, à Starbucks.

Je me fis plus sarcastique que je ne le voulais en réalité.

— Tu en aurais sûrement rencontré un paquet d'autres, beaucoup plus adroites.

La voiture redémarra.

— Possible. (Je me tournai vers la vitre, silencieuse.) Mais aujourd'hui c'est trop tard, aucune ne lui ressemblerait. Pour moi, elle est unique au monde.

Mon cœur bégaya comme un disque rayé.

D'habitude, j'avais du mal avec ce genre déclaration. Dans la bouche de David pourtant, ça avait quelque chose de spécial, de transcendant. Ça me foudroyait sur place. Alors, comme je ne savais pas comment réagir, je lui dis la chose la plus blessante que j'aurais pu trouver.

— Ça lui fait une belle jambe.

Ma voix avait une teinte de reproche. Je le regrettai aussitôt, mais c'était déjà trop tard. Je voyais ressurgir la tristesse dans ses yeux.

— La situation me déplait autant qu'à toi, tu sais...

— Je sais, excuse-moi, balbutiai-je péniblement.

Il ne dit rien et se concentra sur la route. Je passai le reste du trajet à m'en vouloir. Je ne savais définitivement pas m'y prendre avec les hommes.

À l'approche de mon immeuble, il ralentit et se gara en double file. Il s'était quelque peu détendu et scrutait le bâtiment avec curiosité.

— C'est joli. Tu habites à quel étage ?

— Quinzième. Les deux dernières fenêtres sur la gauche.

Je le voyais compter mentalement les étages pour trouver mon appartement.

— Tu dois avoir une belle vue de là-haut.

— Tu veux venir voir ?

Il fronça les sourcils et me jeta un regard réticent.

— Il vaut mieux éviter. Je me vois difficilement expliquer ma présence à tes parents.

Encore eux ?!

— C'est sûr qu'ils se poseraient des questions...

David acquiesça, avec déception malgré tout.

— S'ils habitaient là, terminai-je tout en me glissant hors du 4x4.

Il releva la tête en véritable renard curieux.

— Tu veux dire qu'ils sont toujours à New York ?

— C'est ça, dis-je en m'appuyant sur la portière. Et ils ne sont pas prêts de me rejoindre ici, crois-moi !

Les lèvres de David remontèrent du côté droit, sans que ça ressemble à un sourire. Ça lui donnait l'air triste, comme s'il avait de la peine de me savoir livrée à moi-même. Et quand il me dit au revoir, je sentis que si j'avais insisté pour qu'il reste un peu, il aurait cédé. Mais je ne l'avais pas fait, et c'est donc seule que je rentrai chez moi.

Dès que je passai le pas de la porte, je m'écroulai sur le canapé, déprimée. J'avais beau avoir guéri David, l'atrocité de mon geste m'écœurait. J'avais consumé une âme. Et en plus de ça, je n'avais pas vraiment sauvé David non plus. Les ambitions de Clarke restaient intactes.

J'avais faux, à tous niveaux. J'étais une vraie calamité. Autour de moi, c'était l'hécatombe. D'abord, l'homme dans le coma dont je venais de consumer l'âme. Ensuite, Sarah, que j'avais entrainé avec moi dans le ravin. Et puis... David, bientôt.

Je répandais la mort, en permanence.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant