Shadow Of the Day - Linkin Park
Comme à l'accoutumée, M.Hopkins était allongé sous les draps. C'est sûr qu'il ne risquait pas de se faire la malle avec sa bouteille d'oxygène sous un bras, et son appareil à dialyse sous l'autre.
Reprenant peu à peu contenance, je le saluai d'un geste amical. Un sourire tendu accroché aux lèvres, j'attrapai une lingette désinfectante sur le meuble au pied du lit, et me frottai la joue à l'endroit où Rendall avait déposé sa bave de crapaud.
— Un problème ? s'enquit Hopkins avec inquiétude.
C'était ironique, quand on pensait à son état, qu'il s'inquiétât du mien.
Son teint était cireux et ses joues, que j'avais connues pleines en le rencontrant, s'étaient creusées. Si bien qu'aujourd'hui, il n'avait plus rien à voir avec le sexagénaire vigoureux qu'il était, il y a encore quelques mois de cela. Son visage s'était tant émacié que les os de ses pommettes et de ses arcades sourcilières saillaient à présent comme sur une tête de mort. Mais, en dépit de sa maladie, M.Hopkins demeurait un homme bon, et il se souciait des autres. Par jeu de contraste, je ne pouvais m'en sentir que plus égoïste et détestable.
— Simple principe de précaution, éludai-je en m'asseyant sur le fauteuil rapiécé près du lit. Et vous, la forme ?
La forme ?!
Il y avait des fois où je méritais des claques.
On aurait pensé qu'après des siècles à fréquenter des mourants, j'aurais acquis une aisance suffisante pour traiter de ces sujets délicats sans faire de bourde, ou au moins, appris à faire montre de tact. Mais aussi contre-intuitif que ça puisse sembler, j'étais rendue mal à l'aise par tout ce qui avait trait à la maladie, et à la mort.
Pratique, pour une Mort !
Le truc, c'est que je faisais ce travail, justement, pour ne pas mourir. Pour vivre, diraient certains. Une bien drôle de vie.
Hopkins, comme les nombreux autres avant lui qui avaient fait les frais de mes formules malencontreuses, ne se formalisa pas.
— À en croire les derniers scanners, pas vraiment. C'est... la fin, murmura-t-il la voix éraillée par une certaine appréhension.
— La fin ? répétai-je.
Non, je n'étais pas totalement stupide. Je faisais mine de ne pas comprendre, car je répugnais à aborder ces choses-là. Affronter le diagnostic d'une personne condamnée me donnait un sentiment d'impuissance amer. Il n'y avait rien à dire, et pas plus à faire. J'avais l'impression d'être un rat pris au piège. Hopkins aussi, j'imagine.
Une quinte de toux agita son corps frêle.
— Les médecins ne sont pas optimistes, reprit-il essoufflé quand elle se fut calmée. Ils disent que je n'en ai plus pour longtemps.
Je m'interrogeai à haute voix de manière rhétorique.
— N'ont-ils pas déjà dit cela le mois dernier ? Et celui d'avant ?
Hopkins sourit, un peu.
— Même si je reste persuadée qu'ils se trompent, poursuivis-je, tâchons donc de profiter de cette belle journée, voulez-vous ?
Les yeux brillants, il hocha la tête.
Face à lui, je m'efforçai de garder un air serein, optimiste, qui confinait à la sottise, mais intérieurement, je me dis que l'heure était venue d'agir. Hopkins était un indécis. Si je ne me chargeais pas de lui aujourd'hui et qu'il mourrait en mon absence, son âme serait perdue à jamais. Elle errerait éternellement sur Terre, sans aucune chance d'être sauvée. Cela n'avait rien de réjouissant et je refusais de prendre le risque qu'il finisse ainsi.
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Lips As Red As Hell [TERMINÉ]
ParanormalQuand la Mort débarque au lycée... Figée dans ses vingt-et-un printemps depuis des siècles, Eléonore mène à San Francisco une vie seulement rythmée par son travail : faucher des âmes. Sa routine est aussi plate que l'encéphalogramme d'un cadavre et...